J’ai commencé à écrire sous la clarté du pire. C’est toujours la douleur qui vient arroser les mots, qui les arrache à l’emprise embuée du désespoir. C’est toujours elle, qui baigne le cœur dans une solitude qui vous avale, qui vous attrape par la gorge et vous embrasse jusqu’à ce que vous n’ayez plus de salive pour parler, plus de bouche pour manger, plus rien pour voir. Alors, il vous reste vos mains. Écrire. Ce temps est long, et il est court. Les nuages sous vos pieds pèsent sur le monde, ils dressent l’immense bouclier qui écrase jusqu’aux songes les plus purs. De votre côté, le cotonneux brille d’un blanc immaculé aux reflets d’or le jour, d’argent la nuit. Mais en bas, loin en bas, tout est gris. Ils sont joueurs, ces nuages : ils dansent, se courent après, se détachent, s’envolent, grognent, se font vide de tout. Puis c’est son image qui vient. Elle, toujours elle.

Vous vous dites qu’il est étrange que l’esprit ne connaisse qu’un seul chemin. Il court, il parcourt les inconnus, les visages, les poitrines, mais à la lisière d’un ciel brûlant d’étoiles et d’une mer calme qui caresse le sable froid, il n’y a qu’un seul visage, qu’une seule poitrine, et tout inconnu qu’il se veut, le monde vous devient évident. Elle avait ces regards qui pleuvent sur vous des avalanches de mystères. Plus que tout, vous aimiez vous baigner dans son regard, dans l’émeraude timide et le brun délicat, chaque vague un soulagement à l’absurdité de votre existence, chaque cil un oubli du gouffre noir qui vous habite.

Ce n’était pas là, votre ultime refuge. Votre vie entière fut jonchée par l’irrémédiable volonté de mettre vos mains devant un petit feu. À l’enfance, la bouche s’enflamme sur les seins de votre mère, dans le cocon de sa poitrine, dans le rythme des battements de son cœur. Puis l’adolescence, la traîtrise de ce que fait le temps aux hommes, ni vraiment enfant, ni entièrement adulte, un entre-deux que le corps répugne, la voix hésite et tout le reste suit son tremblement. Le feu est en vous, vous brûlez de l’incompréhension des mondes, les mains sont rageuses, arracheuses, serrées en poings assommants. Et maintenant. Le présent, la longue attente de la mort, l’âge auquel vous ne comptez plus, vous ne réfléchissez plus. Une seule règle : tenir debout, mesurer le fléchissement du dos, la courbure d’une...