Léa s’installe à son bureau et pose ses copies devant elle. Par la fenêtre, les arbres maigres et dénudés lui cachent le gris du ciel. L’enseignante a croisé son reflet dans le miroir en passant, elle a remarqué ses cheveux blancs et ses traits tirés. Comment peut-on paraître si vieille à trente ans ? Léa n’en revient pas de la médiocrité de son quotidien ni de celle de cet appartement meublé chez Ikea, éclairé par la lumière crue d’ampoules basse consommation, loin du fantasme de ses années estudiantines. Le jazz a été remplacé par le bruit incessant de la télévision. Il y a trois ans, elle s’est mise en couple avec Alexandre, rencontré sur une application. Il aime YouTube et les jeux vidéo.
Depuis qu’ils ont emménagé ensemble, il quitte rarement le canapé. Il sort pour rejoindre un travail insignifiant qu’il ne quittera sans doute jamais. Comme on lui donne peu à faire, il occupe ses journées rivé à des jeux sur son téléphone, le visage presque entièrement dissimulé par son appendice électronique. Il lui arrive de s’emporter contre l’incompétence de ses collègues et de jurer qu’il ne retournera pas au bureau, qu’il trouvera mieux et qu’il sera bien payé cette fois. Léa aimerait que ce soit vrai, elle rêverait de le soutenir dans cette épreuve. Mais il ne le fait pas. La déception, chez elle, a peu à peu laissé la place au mépris. Elle ne l’écoute plus, elle ne le croit plus. Quand Léa aspire au flou et aux chemins de traverse, la vie avec Alexandre semble toute tracée, déjà achevée. La répétition de cette vie à deux plonge la jeune femme dans une sorte d’engourdissement, elle est un animal étourdi avant la mise à mort.
L’enseignante rentre le soir sans énergie, le dos en miettes, les oreilles bourdonnantes et le souffle court. Alors elle s’agace. Mais elle n’a pas à se plaindre, elle travaille 24 heures devant les élèves. Personne ne compte les rendez-vous de parents, les réunions, les préparations de cours, de voyages et de sorties, les corrections, les journées pédagogiques… Imprimer, perforer, découper, coller, plastifier, redécouper… Toutes ces heures pour rien, ces soirées, ces fins de semaine, ces vacances : pilonnées. Ça n’a pas existé.
Un jour, pendant la récréation, Léa se fait cracher au visage. On le lui dit direct : il n’y aura pas de sanctions. Cet événement n’est que le reflet de ses années passées à ...