Ah l’amour… Quelle folie, quand il vacille mais ne s’effondre pas ! Quand il s’use, se cabosse, tente des détours avant de revenir sur ses pas. Que reste-t-il du désir quand les corps ont trop vécu ? Et que vaut une promesse éternelle quand la maladie s’invite ? Regain est l’histoire d’un couple qui danse sur le fil du temps, entre derniers rebonds et ultimes renoncements, entre les restes d’un feu et l’ombre qui approche. Un feuilleton mordant, écrit par Lucas Dusserre.
Chaque jeudi soir, au gymnase de Sisteron. « Voiiiiiiilà, on s’étire, on fait le vide, on respire bien profond, et on n’oublie pas de se reconnecter avec son corps, jusqu’à sentir l’air passer dans le sang, c’est hyper important, allez allez ! » La prof, Stella, était un peu zinzin mais sinon c’était une femme adorable, et surtout, fallait l’avouer, elle avait un physique de Miss France. Moulée dans son legging noir, on aurait dit qu’elle était lustrée. À côté de cela, le yoga faisait son effet : Séverine était devenue lumineuse ; d’ailleurs, Stella le lui avait fait remarquer, à la fin d’un cours, « franchement ma belle j’te trouve rayonnante, ah j’te jure un vrai soleil j’adore, c’est vrai non les filles…? »
Jacques est un crocodile. Cet ancien pilote de ligne, un bel homme à la crinière blanche et aux yeux bleus, traînait silencieusement dans les couloirs, quand il a entendu les compliments qu’on faisait à Séverine. À la sortie du cours, il s’était attardé sur le parking du gymnase, en regardant les étoiles. Séverine l’ayant surpris dans sa « méditation » ; tous deux s’étaient mis à discuter. Ils partageaient le même esprit contemplatif. En écoutant Jacques raconter ses « bivouaqueries », comme il disait, Séverine eut l’impression de rêver. Parti au volant de son camping-car, il se garait au bord de l’Ubaye et préparait du feu. En prêtant un peu l’oreille, il pouvait entendre les cris des faons, le grognement des sangliers, le grattement des renards et même, une fois, le hurlement d’un loup… Il se mettait les chipos à griller et restait comme ça, en communion avec la nature, « dans ces moments-là je suis juste, comment te dire, le seul mot qui me vient à l’esprit c’est celui-là : vivant, voilà je suis vivant, ça peut paraître con, hein, mais bon… en fait… la vie… non mais sans déconner… c’est quand même quelque chose… » Jacques avait un accent du Midi et une belle voix de crooner.
Leurs discussions, en sortie des cours, étaient devenues habituelles. Un soir, Jacques a lancé que, si ça tentait Séverine, il pourrait l’emmener faire un tour de Harley avec sa bande. Quelques jours plus tard, elle le rejoignait, lui et ses copains, sur le parking d’Auchan. Elle s’était un peu cassée le cul sur la selle mais, une fois arrivée en haut du Mont Ventoux, ça valait carrément la peine. Jacques lui décrivait l’horizon. Sur la gauche, elle voyait la barre des Écrins et un peu plus loin, pratiquement dans les nuages, celle des Alpes. À droite, il y avait Carpentras, Avignon, Marseille, et le grand étang de Berre. Toute la région PACA s’étendait sous ses yeux. Séverine était ébahie ; tout à coup, une pensée désagréable lui vint en tête : Christian n’avait jamais eu l’idée de la conduire jusqu’ici…
Deux semaines plus tard, elle était dans l’ULM de Jacques, en train de survoler la falaise de Céüse ; après l’atterrissage, ils avaient bu un verre au bar de l’aérodrome. Le beau Jacques lui avait raconté ses voyages : le Brésil, les États-Unis, l’Australie, mais surtout, surtout, la Mongolie. Après la mort de sa femme, il avait songé à y vivre… « Eh oui… j’osais pas t’en parler… j’sais pas pourquoi… c’est con, hein…?! » Neuf ans plus tôt, sa femme avait été foudroyée par un cancer et Jacques, de chagrin, avait chopé un abcès à l’estomac. Après sa sortie de l’hôpital, il s’était promis d’arrêter la nostalgie, la vie était courte et ça ne servait à rien de gamberger cent ans, non fallait tout simplement vivre, et se dépêcher un peu, car il était arrivé à un âge, disait-il, « où on a plus le temps pour les regrets… »
Les propositions se multiplièrent.
Séverine était allée faire un tour de bateau, toute seule avec lui, sur le lac de Serre-Ponçon ; il lui avait appris à pêcher, en la tenant par la taille ; elle, gênée, avait posé ses mains sur les siennes, pour les dégager.
Il l’avait aussi emmenée faire un tour de Mustang, sur les petites routes de campagne, à la tombée de la nuit. La voiture stationnée face aux champs, Jacques mettait les pleins phares : Séverine voyait des lapins, ...