Et si tout était déjà perdu ? Dans un souffle brûlant et désenchanté, Frédéric Perrot balaie illusions et espoirs, pour annoncer l’extinction de tout – mais surtout d’une relation amoureuse. Ce monologue fiévreux fait coïncider la fin du monde et la fin du moi.
J’ai un programme politique je suis pour accélérer l’extinction puisque c’est trop tard puisque c’est foutu autant y aller à coup de talons tout faire disparaître à commencer par la ponctuation puisque même la littérature n’aura servi à rien chacun foutra ses points ses virgules où bon lui semblera pour donner un putain de sens à tout ça l’extinction de la planète de nous et du reste tu vois je n’attends plus rien de personne ni de toi ni de l’année qui viendra sinon que brûlent une à une nos peines nos joies ta confiance mes erreurs et je ne suis pas sûr que ce soit triste ce qui est triste ce sont les rides à ton cou que je ne connaîtrai pas les tâches de vieillesse à tes poignets la peau qui pend nos lèvres fripées c’est le temps qu’il nous aurait fallu ta main dans la mienne me permettait de tout prédire même le passé maintenant je hais ce que font les années aux années et je hais les dimanches puisqu’ils ne sont plus nous je sais oui je sais on a tout raté même l’échec et c’est pour ça sans doute que de l’année qui vient je n’attends rien sinon d’en crever de n’avoir plus dans mes pupilles tes orteils dans le sable et nos danses les yeux fermés ce mouvement ridicule des épaules qui te faisait marrer ce doigt qui sur ma joue se baladait c’est un programme comme un autre le chaos c’est suivre la logique des choses il n’y aurait de début sans fin de sourires sans larmes de souffrance sans plaisir donnez-moi d’autres portes ouvertes je les défoncerai sans honte puisqu’elle aussi disparaîtra la honte comme les forêts le ciel mes vergetures Nelly Arcan mes doigts tes cuisses les regrets les questions car oui avec l’âge ce ne sont pas les réponses qui s’accumulent mais bien les questions et vois comme j’ai réglé le problème en annihilant jusqu’aux points d’interrogation nos exclamations nos euphories les fous rires la nuit qui tombe elle aussi un dessin maladroit laissé dans une enveloppe un jour dont je ne sais plus la date et le pourpre de tes ongles ce n’est pas tout j’ai d’autres idées j’en ai plein des choses à détruire des listes à en vomir l’océan Pise la peau rongée de mon pouce ton ombre qui manque au soleil de cette matinée l’infini qui sans nous trouvera des frontières après tout cet amas de chair et d’incohérence qu’on appelle humain n’existe que pour détruire et le cri primal ne tend que vers un ultime râle alors n’y mettons pas trop d’affect veux-tu allons-y sans ambages puisqu’on ne fait que prolonger la démarche de Dieu de nos parents du ventre des mères qui persistent à n’expulser que des êtres voués à mourir le Big Bang les dinosaures les singes et tout le tralala de l’évolution pour en arriver là quand j’y pense à ce texte aussi vain que les autres pourquoi gâcher encore ce peu temps qu’il nous reste en écrivant des choses qui resteront suspendues dans le néant quand tout aurait pu tenir en une phrase. Ton sourire qui n’est plus c’est l’extinction de l’espèce.