Je ne sais rien de ce qui m’attend. Je vais pêcher en Normandie, c’est tout. Mon hôte m’accueille en gare de A. et il s’appelle Paul-Antoine. Il a une barbe de baroudeur et sa poignée de mains me fracasse huit phalanges. Il me parle de sa canne à pêche, m’en fait l’historique, me raconte ses exploits. Il m’apprend qu’il a pêché dans un nombre incalculable d’endroits, que c’est un cador de la pêche à la ligne, qu’aucun poisson ne lui est étranger. Reste que c’est long, deux heures de parlotte sur une canne à pêche quand on a soi-même jamais rien pêché d’autre que des emmerdements.

L’idée était, du moins pour moi, de faire une virée à la Larry Brown, en tout cas à l’Américaine : glacière pleine de Bud, pick-up et tout le tremblement. Il y a bien la glacière mais c’est dans une Simca rouillée que nous montons. Il n’est pas causant et mes questions sur notre destination restent sans réponse. Pas ennemi de la technologie, il a une petite enceinte Bluetooth sur laquelle je fais dérouler ma playlist. Il me lance des regards en biais que l’on pourrait qualifier de non-avenant. Souchon, Jonasz, Reggiani, ne semblent pas être sa tasse de thé. Sur Renaud, il se réveille un peu. La pêche à la ligne, du chanteur énervant, le fait marrer. Il méprise les loosers de la poiscaille. Au détour de l’une de ses rares interventions, je prends conscience que je vais dormir sur place. Je n’avais pas prévu ça et je me demande où est-ce que je vais bien pouvoir allonger mon insomnie. Puis nous arrivons dans le port de O., considéré me dit-il dans sa barbe, comme le plus moche de France. C’est un monocoque, un rafiot de 1963, prénommé L’embuscade. Il me fait visiter les lieux et me dit voilà, tu dormiras sur la bannette et, moi, à l’arrière. J’esquisse, dans la limite de mes possibilités, une sorte de sourire. Mes yeux ont bien vu la collection d’opinel, ainsi qu’une boite de préservatif. Moi, le fanatique de Christophe Hondelatte, me retrouvant en pleine scène de fait divers. L’écrivain violé, émasculé puis assassiné par un marin pêcheur. Voilà un épisode qui aurait du chien…
— J’ai oublié la canne à pêche, me fait-il tout à coup.
— Non ?, je fais.
— J’ai l’air de déconner ?
Je trouve prudent d’arrêter là mon interrogatoire et nous voilà partis à nouveau dans la Simca rouillée. Il s’arrête dans un magasin et là, à la faveur d’une conversation avec le vendeur, je m’aperçois que c’est un jobard hors compétition. Je pensais vivre la grande aventure avec le capitaine Haddock (je lui ai d’ailleurs demandé, plus tôt, si je pouvais l’appeler Archibald, je trouvais ça plus costaud que Paul-Antoine, qui fait vachement pubard parisien ; il m’a rabroué), je me retrouve avec Édouard Louis en camping. Le vendeur l’aide à commencer à monter sa ligne de pêche et lui parle des différents appâts (eux aussi oubliés dans la maison d’Archibald). Il se laisse vendre n’importe quoi, pourvu qu’on en finisse. Ne nous mentons pas, le jeune vendeur nous toise un peu. Il est à la limite de nous proposer le kit pour enfant.
— De toute façon, dans l’Orne…
Il enchaîne, nous promettant une pêche loin des standards que m’avaient vendu Archibald deux heures plus tôt. À ce moment-là, je suis certain que l’on ne pêchera rien. Pas la moindre truite, pas le minimum syndical… Nous serons deux cons sur un terrain herbeux – dieu merci qu’il ait pensé à la glacière pleine de Bud – mais j’aurais de la lecture : La pêche à la truite en Amérique, justement, du connaisseur Brautigan. Pendant qu’Archibald paie, j’essaie d’imaginer à quoi ressemblent les parties de pêche de Richard avec Crumley, Harrison et toute la clique. Mais c’est déprimant d’y penser…

Nous trouvons, selon Archibald toujours, l’endroit idéal pour pêcher. Nous installons le matériel, décapsulons une bière, trinquons, et finissons de monter la ligne. Puis nous faisons un premier lancer. Sur un transat, j’enchaîne les bières et les cigarettes, tout en lisant Brautigan.
— Archibald, tu crois que ça mord ?
— Je t’ai dit de ne pas m’appeler comme ça.
— Pardon Paul-Antoine, tu crois que ça mord ?
— Il faut attendre un peu. La pêche, c’est avant tout de la patience.
— Je te re...