Il était une fois, une meuf qui a été tellement, mais tellement, conne, hier, qu’on aurait dit une chroniqueuse chez Hanouna. Spoilers : c’est TOI !!! Pott. E.
Quand elle parvient à déchiffrer les mots furax sur le post-it, Lore ne s’émeut guère. S’émouvoir est un luxe que ce fichu mal de crâne lui refuse obstinément. Sans parler de la lutte contre les reflux acides. Les notifications de son téléphone ébranlent la table de chevet. En grande partie des messages d’Igor, son manager : « Kaixo ! En forme j’espère. Après le concert de ce soir, prépare toi à une carrière internationale. » ou encore « Objectif Coachella dans trois ans ? Lol ! » et autres conneries du genre. Elle sonde le dédale des fenêtres digitales en quête d’un message de Serena. Fitxik. En revanche, elle y découvre un vocal qu’elle lui a envoyé au petit matin. La bonne idée. Play. L’écho dégoulinant de syllabes biturées macule le silence. Sa voix sonne comme un coup de latte de Francis Ngannou dans le bide. Elle court aux chiottes se coller des doigts dans la glotte, histoire de calmer la tempête qui agite ses tripes. Pas de bol : plus de larmes que de bile. On efface cette horreur. Brutal, le réveil. Relativisons. Elle s’est pieutée seule dans un lit propre. C’est déjà pas mal. Certainement plus que ce à quoi elle estime avoir droit. Vu la tournure de la soirée, elle aurait pu atterrir absolument n’importe où. Et surtout avec n’importe qui. Elle reconnaît la piaule parfaitement rangée d’Ekaitz avec ses affiches de film et sa bibliothèque qui dégueule de livres. Décidément le seul hétéro qu’elle laissera jamais la désaper.
Elle zieute ses fringues sales dans le sac plastique. Puis, ses changes parfaitement pliées sur la chaise. Enfin, la bouteille de flotte jouxtant les tubes de Doliprane et de citrate de bétaïne à côté de la note à son attention. Trop choupinou. Une bouffée de gratitude mêlée de tendresse la submerge et atténue quelque peu la gueule de bois. Ekaitz, c’est vraiment un amour. Ce genre d’ami rend la vie plus belle. Un comprimé de chaque, cul-sec la bouteille.
Les derniers souvenirs de la nuit passée se sont faits la malle. Merci les seaux de margarita. Ça sentait bon la tequila d’occasion, mais c’était plus fort qu’elle. Ils sont arrivés à point sur la lancée. Pas très malin, vu l’échéance du soir. Ajea jacta est. On mettra ça sur le compte de la rupture. Ça fait un bail qu’elle a bon dos, la rupture. Huit mois. Et treize jours.
Ça va quand même vachement mieux après la douche. Lore lorgne le panier à fruits. Elle en rêve, mais tout lui semble un peu trop abrasif pour sa paroi stomacale. Elle trouve son bonheur dans les placards de la cuisine. Des sachets de nouilles instantanées. Ekaitz est un vétéran de la bringue et de ses lendemains. Elle embraye sur un combo pâté etxeko – pain de mie industriel. Parfait. Une fois sur le seuil de l’appartement, elle se ravise. Elle court vers son sac à dos et applique les autocollants sur les tétons. Ce soir, c’est elle la star. Alors qu’elle recouvre peu à peu ses esprits, les bruissements de la Rue d’Espagne semblent plus distincts. Ils emplissent l’espace sonore de l’esprit des fêtes. C’est déjà l’heure de l’apéro. Les cuivres joyeux de la Banda Dorothée se font entendre. Et les festayres qui reprennent en chœur les paroles des Chevaliers du Zodiaque. C’est complètement con, mais ça la fait marrer. Un œil rapide à la fenêtre. Aupa ! C’est déjà le feu. La marée rouge et blanche sème la joie. Un sourire espiègle étire son visage. Goazen !
1er « B »
— Mais c’est quoi ce besoin que tu as de provoquer les rugbymen, gaizua ? Ça a failli partir à la gifle ! T’es conne à bouffer du foin quand t’es bourrée. T’avais vraiment besoin de te la coller autant une veille de concert ? Tu peux lâcher ton tel et me regarder otoi ?
Lui, c’est Ekaitz. Son ami d’enfance. Il l’a mauvaise, car il croit devoir la protéger chaque fois qu’elle se met dans la panade. Le concert pour l’heure, elle s’en cogne un peu. Elle songe à l’épiphanie de la veille : Serena. Avant de la rencontrer, elle avait cru que toutes ses relations post-rupture auraient ce même goût de kebab. Plaisir régressif à l’attaque, écœurant à la troisième bouchée. La salade d’avocat a apporté le soupçon de fraîcheur que son métabolisme réclamait. Place à l’axoa et la plâtrée de riz pour colmater les brèches de son appareil digestif. Ostia, que c’est bon. Sympa, le spot. Chez Basile ? Ok, on y reviendra. Elle lève son nez de l’écran.
— T’as quoi à l’œil ? Tu t’es battu ? Ça m’étonne de toi.
— RÉPONDS À MA QUESTION !
— Non, mais c’est pas ma faute si j’ai du mal à faire la diff entre un match de rugby et un after qui a mal tourné chez Pierre Palmade.
Lena, sa copine se marre. Ça fait rudement plaisir. Après toutes les coincées qu’il s’est coltiné. Elle espère sincèrement pour eux que leur histoire va durer. Elle a l’air vraiment chouette, la nesk. Le côté sale gosse reprend le dessus : elle en rajoute une couche.
— Tu admettras, toi qui as fait du rugby à l’époque, qu’il y a difficilement plus gay que d’avoir pour rite initiatique de gang-banger une biscotte entre potes !
— Hashtag « Rugbears ».
— Lena : je t’adore !
Les filles se marrent. L’audience du bouge visiblement peu portée sur l’ovalie réagit bien aux vannes. Ça la requinque. Lore ressert les verres de la tablée et finit la quille de Rioja.
— Pff. De suite, les exagérations…
— Bai. T’as raison, je me suis plantée. C’est pas un gang-bang, mais un bukkake.
Elle mime le geste, salière en main. Rires décuplés. Le patron du rade paye sa tournée de gin-tonic. La première d’une longue série.
— C’est pas toi qui me parlais de votre devise au rugby ? La Règle des Trois « B », c’est bien ça ? Pour une bonne bringue, il faut une bonne biture, une bonne bagarre, et finir sur une bonne baise. Grâce à moi, on a failli avoir une bonne bagarre non ?
— Ouais, ouais, si on veut…
— Sérieux, il lui est arrivé quoi à ton œil ? Tu t’es pas battu à cause de moi quand même ?
— Non. Ça, c’est toi qui me l’as fait. Quand il a fallu te coller au pieu.
— Ah barkatu. Mais là, on est en plein instinct de survie. Défroquer une meuf bourrée en pleines fêtes de Bayonne… c’est une histoire qui finit rarement bien.
— Un bon point pour elle.
— Milesker Lena !
Les deux nesk se claquent la main. Sororité, bitch !
— La prochaine fois, je te laisserai moisir dans ton vomi.
Lore se lève de la chaise et l’enlace. Ses pensées se tournent vers Serena. Pourvu que Serena n’ait pas assisté au sketch de fin de soirée.
— Maite zaitut, nere laguna. Lena : ne déconne pas avec lui. C’est une personne en or. Même s’il a une bite.
2ème « B »
On a beau penser maîtriser le concept, mais la géographie modulaire de la ville durant les fêtes peut s’avérer déroutante. Véritable centre de gravité de l’Univers, Bayonne à cette période de l’année étire ses dimensions, encapsule le temps et déforme les perceptions. Lore a déjà parcouru au moins trois fois la distance nécessaire pour arriver...