J’étais pas trop dans l’espérance, comme garçon, assez régulièrement certain que rien ne rimait à rien. Cela allait avec la désagréable capacité que j’avais de voir ma vie d’en haut, petite bille, dont les intérêts, les désirs, les actions, tout ce pataquès-là, n’en étaient que les tressautements ; une toute petite bille en verre, immobile à l’échelle de la grandeur, comme éclairée par la lampe d’un lampadaire insignifiant, unique cercle de lumière, aussi large que le rond fait par la jointure du pouce et de l’index, dans l’infinité du noir absolu. En termes de curriculum vitae, c’est déjà pas mal ; c’est pour mieux comprendre l’histoire.
Ceci étant dit, le matin étant le matin, ce matin, j’existais. Au-delà de ça, je me levais. Je me suis préparé un café et j’ai allumé la deuxième cigarette, après la première, fumée au lit. Je me suis pressé un citron dans un verre, selon la plaisante idée qui me prend parfois de bonne santé, et puis j’ai lu trois pages d’un livre, et puis deux pages d’un autre, sur la Mésopotamie celui-là. Je lisais en me demandant bien ce que je pourrais en faire, moi, manutentionnaire au chômage, de la Mésopotamie. Bref, je dépensai une matinée banale. Après s’en être enfilé suffisamment, des comme ça, on ne se pose plus trop de questions sur l’amour.
Après le repas de midi, confectionné par assemblage des restes que j’avais, avec le compte à moins 150, je suis allé voir mon ancienne voisine. C’était une vieille dame de quatre-vingt ans, devenue partiellement aveugle les précédentes années, justement celles après que je sois parti, loin d’elle et de mon ancien immeuble, où je n’avais jamais plus voulu remettre les pieds. Mais, bon.
Elle m’avait appelé quelques jours auparavant, me demandant de mes nouvelles et de venir la voir. J’avais gardé un contact suffisamment distant pour avoir oublié n’avoir plus le moindre intérêt, ni la moindre chaleur, à sa présence. Et puis, je l’avais bien aimée, moi, la vieille Madeleine, ça avait été mon amie. J’en avais passé des soirées, lorsqu’elle partait en vacances, à m’occuper de sa chatte psychotique, sourde qui plus est, ce que ni moi ni elle ne savions avant que je ne déménage. On se contentait de continuer d’appeler l’animal, nous, pas découragés. Une vieille aveugle et une chatte sourde. Et puis Madeleine, ses maris morts, son ancienne vie d’alcoolique, repentie, ses gamins qui allaient lui chercher ses bouteilles lorsqu’elle n’arrivait plus à bouger du canapé ; sa jeunesse de riche Suisse, fille d’un patron de boîte de nuit, venue à Paris par amour d’un arnaqueur à la petite semaine, qui l’avait mise enceinte alors que les gynécologues l’avaient condamnée stérile… mais les histoires sympas, je les connaissais déjà, c’était les autres qui étaient d’actualité ; son présent. Des histoires toutes plates, forcément. Celle du voisin qui taillait les arbres du jardin, celle de la voisine un peu folle, celles des compétitions de handball de son petit-fils, de l’effronterie de sa petite-fille surdouée qui démontrait, à raison, à ses professeurs qu’ils avaient tort sur ci, sur ça…...