La dinde est trop sèche, les discussions trop tendues, et le grand-père presque trop mort. Entre un loukoum assassin, des clashs idéologiques de salon et des rires préenregistrés, avec l’écrivaine Emma Tholozan, Noël prend des airs de tragédie burlesque. Et comme toujours, le dessert sauve (presque) tout.
Une odeur de marron grillé embaume le salon. Le feu crépite dans la cheminée. La crèche est installée, il ne manque plus que le santon du petit Jésus. Le sapin est décoré de boules rouge et blanche, quelques sucres d’orges parfont l’ensemble. La mère a le sens du détail.
Elle est dans la cuisine et se plaint que personne ne l’aide. Elle ne va pas avoir le temps de se maquiller avant l’arrivée du restant de la famille. On sonne. « Et voilà, je n’ai pas eu le temps de me maquiller » crie la mère.
La porte s’ouvre, un courant d’air frais s’engouffre dans la pièce. Bises de joue glacée contre joue chaude, barbe drue contre peau lisse.
En fond, on a laissé la télé allumée, le grand bêtisier de Noël. Des gens se cassent la figure au ski, des gens se cassent la figure en BMX, des gens se cassent la figure en sautant sur un trampoline. Et ce, en boucle jusqu’à une heure du matin. « Depuis que Patrick Sébastien a rendu l’antenne ce n’est plus ce que c’était », maugrée le grand-père en avalant une huître avec un bruit de succion insupportable.
— J’espère que la dinde n’est pas trop sèche, déclare la mère.
Le fils a posé son téléphone sur la table, calé contre le verre à pied.
— Enfin, c’est Noël, tu ne pourrais pas faire un effort pour être avec nous ?
— Désolée maman, les drames du monde n’ont pas la politesse de s’arrêter quand nous nous empiffrons.
Le père souffle. Il se sert un verre de vin rouge.
— Elle n’est pas trop sèche la dinde ? s’inquiète la mère.
— J’aime beaucoup la nouvelle miss France, intervient la grande tante.
Le père entame une conversation avec l’oncle. Ils affirment que l’extrême droite et l’extrême gauche sont exactement les mêmes. Le frère éructe, il s’emporte, sa voix s’éraille en trémolos.
La fille regarde les paquets brillants disposés sous l’arbre, peut-être que l’un d’eux contient une corde ou un revolver qui lui permettra de ne plus jamais assister à ce genre de discussion.
— Chéri, prends de la sauce pour arroser la dinde, je l’ai faite exprès.
Le père soulève la saucière et en verse tout le contenu sur son bout de viande.
— Ah, elle est vraiment sèche alors… souffle la mère.
— Et Jean-Pierre Foucault, on dirait qu’il a toujours...