Face à la multiplication des agressions, Lou Syrah a décidé d’ouvrir son journal d’octobre à des personnalités récemment victimes de racisme. « Le jour de la honte » est le récit intime de cette violence collective qui salit le pays.
Épisode 1 : Chedli Ben Hassine
Les petites comme les grandes révélations prennent souvent les chemins de traverse. Pour Chedli Ben Hassine, 30 ans, entrepreneur multicartes, une réputation dans le gaming, deux millions d’abonné·es sur TikTok, c’était l’Asie : un voyage à l’extrême du continent, en Thaïlande. Quelques jours au sud du pays, dans une ville balnéaire cognée par le soleil et la mousson.
Loin de la France, dans ces rues animées qui débordent sur la mer, une pensée nouvelle a soufflé sur le cœur du jeune homme comme une brise légère. Et à mesure qu’avançait la nuit — la première, puis la deuxième — puisqu’en reprenant l’avion du retour, en croisant le regard du douanier, ce regard qui scelle le passage d’un pays à l’autre, celui qui vous condamne au mauvais côté de la file. Dans le taxi peut-être encore, en vidant sa valise, en se laissant tomber dans son lit. Dans l’œil ou dans la bouche, deux mots se sont frayé un chemin plus distinctement.
Deux mots qui ne franchissent pas les seuils impunément.
Deux mots. Dix lettres.
Être
Humain
« Là-bas, je me suis senti de nouveau comme un être humain. »

Un être humain.
Humain.
Être humain.
Humain.
Être humain.
C’était la leçon du voyage. Dans l’innocence d’un bonjour, dans un regard neutre, voire dans l’indifférence collective des autres, à l’étranger, loin de chez lui, Chedli, 30 ans, Français, musulman, maghrébin, banlieusard, s’est senti de nouveau considéré comme un homme. Un homme à part entière et respecté — un être humain.
Il l’a dit à sa sœur, puis il l’a répété à d’autres :
— Je pensais que l’on m’avait pris pour un roi, j’ai réalisé qu’on me traitait juste comme un homme.
Quand il le raconte aujourd’hui, sa gorge se noue encore sur l’énoncé. C’est comme s’il s’écoutait parler à la place d’un autre. Comme dans un cauchemar, avec un double à ses côtés.
C’est ce genre de sensation qui l’a poussé à publier son premier roman horrifique (Le Bouloulou, Éditions Prisma) l’année dernière.

Longtemps pourtant, Chedli a répété (sans doute pour y survivre mentalement) que le racisme n’existait pas, ou du moins qu’il ne pourrait pas faire plier ses désirs. Le tout avec le sourire.
Il n’avait pas encore défini le racisme mais le...