La veille de l’enterrement, elle boit pour combler le vide. Le vin est mauvais, le serveur trop proche, sa tristesse attire comme une lumière sale. Tout se mélange : le deuil, la nausée, l’intrusion. Cette nuit-là, la mort semble presque banale. Un texte puissant et incisif, écrit par May Santot. 

On a les résultats de l’autopsie ? 

Ma voix tremble. Déjà une semaine que mon cerveau mouline. À l’autre bout du fil, mon pote soupire que non, ou plutôt oui, mais on ne saura pas. Il me dit juste que l’enterrement aura lieu demain à treize heures et qu’on n’est pas vraiment les bienvenus. Ils pensent que la drogue, c’est nous, il ajoute, mais ils ne peuvent pas nous empêcher de venir. Je lui réponds que j’y serai. Je prendrai le train demain matin. Je ferai l’aller-retour dans la journée. 

Après avoir raccroché, je me dis qu’une clope me fera du bien et je me rends compte que je suis déjà en train d’en fumer une. J’attends une amie en terrasse. Elle est en retard. Je suis seule dehors, assise à l’une des quelques tables sous les chauffages qui ne fonctionnent pas. Il fait très froid. Je regarde mon téléphone et, pour la première fois depuis l’annonce de sa mort, je me demande si Sacha avait enregistré lui-même son répondeur ou si une boîte vocale dictait son numéro. Je ne me souviens plus. Je ne l’ai pas appelé depuis trop longtemps. Est-ce que j’essaie pour voir ? Est-ce que je prends le risque d’entendre sa voix ? Est-ce qu’on a déjà résilié son abonnement ? Est-ce que la drogue, c’est nous ? Mon verre vide se remplit de vin. Je lève les yeux.  

Le serveur est là, avec la bouteille. C’est pour moi, dit-il, tu as pas l’air bien, on t’a plantée ? Non, je lui réponds, une amie va venir. Elle est en retard. Le type me dit de rentrer. Il fait froid, et puis il doit ranger la terrasse. Ça ferme mais je peux attendre dedans pendant qu’il fait la caisse.  

Je m’installe au bar. Je bois mon verre de vin. Un couple traîne au fond de la salle. Une femme, plus toute jeune, décolorée, très large d’épaules, la poitrine compressée dans un bustier en cuir, et un vieillard qui flotte dans un costume en tweed couleur endive. De temps en temps, la femme rit d’un rire assourdissant et s’appuie sur le vieux qui s’appuie sur la table. Assise, elle le dépasse d’une bonne tête et l’enlace furieusement. À chaque fois, le vieux se recroqueville comme une araignée sur la banquette. Des habitués, me glisse le serveur, revenu derrière le bar, avec un sourire à la fois moqueur et attendri. Il rit en voy...