La littérature entretient avec le réel un rapport ambigu. Par temps de crise, sentant sous nos pieds le sol qui tremble, devant la lacération, la fragmentation, deux choix s’offrent à nous : continuer la petite entreprise littéraire, ou interroger, inquiéter le réel, le pulvériser. Cette semaine, nous avons invité autrices et auteurs à faire ce second choix.
À travers deux poème inédits, l’un intime, l’autre satirique, l’écrivain Victor Dumiot nous propose d’entrer en guerre contre cette France du « vieil homme » qui exprime ses idées rances.
La bonne cause
Un vieil homme d’Hermies guettait par la fenêtre
Depuis l’annonce faite des nouvelles du soir,
Il était très inquiet pour son monde champêtre,
Pour la France surtout, tragédie de déchoir,
Préservant son appui en sa maison de pierres,
Il se sentait sang pur, il faisait sa prière,
Contre hordes grouillantes : Arabes Juifs et Noirs
Contre les criminels qui dévoraient la gloire,
Contre la bienveillance de l’État-fonctionnaire,
Il leur disait : « Venez ! Venez vous allez voir ! ».
C’était sur l’Internet qu’il trouva la rumeur,
D’un appel lancé à tous frères patriotes,
Par Gaulois-75 et Normand-the-killer :
« Amis, adorateurs du drapeau tricolore,
Compagnons du terroir (sortez vos belles bottes),
Allons former ensemble une autre société,
Ce sera notre France, notre France adorée,
Nous y serons heureux, et nous y serons forts. »
Le vieil homme, excité, envisagea la chose,
Il prépara ses affaires pour rejoindre la cause,
Mais sur le pas de la porte, une peur le prit :
« Est-ce que les femmes blondes aimeront mon patchouli ? »
Une guerre
Certaines journées se terminent tristement
Sans force de penser mais pas mort pour autant
On souffre de ce rien, de ce temps grignoté
De ces choses si vides, qu’on crut voir briller
Je suis ridicule face au monde qui vit
Je veux tout éteindre de ma main qui écrit
Habitant cet état, nommé intermédiaire
Passant dans une chambre où l’on respire plus
Où la mort tout entière est une pensée nue
Mon existence toujours, toujours sera cette guerre
- Victor Dumiot, Inédits