Nous poursuivons cette semaine notre rubrique « Pastiche » consacrĂ©e aux imitations, dĂ©tournements et parodies littĂ©raire. Dans la tranquille quiĂ©tude du Paradis chrĂ©tien, ChilpĂ©ric Gard s’ennuie
 Ses bouteilles de chĂąteau d’Yquem, ses bassets bleus de Gascogne, ses amis (dans l’ordre) lui manquent, et les corps dodus des angelots rassemblĂ©s en leur glorieux cortĂšge commencent Ă  lui taper gentiment sur les nerfs. Afin de nous divertir un peu depuis son nuage, le romancier nous a fait parvenir un nouvel Ă©pisode inĂ©dit de sa sĂ©rie policiĂšre dĂ©sormais culte. Nous avons donc l’honneur d’accueillir dans nos colonnes, avec l’aimable autorisation des Ă©ditions Torrent, le mille-cent-quarante-sixiĂšme numĂ©ro de San-Bernardo : Du Rififi chez les Russkoffs.

Aux petits pisse-vinaigre académiques, aux cuistres corsetés et peine-à-jouir, et aux connards nombreux :
si vous recherchez la langue française pure et parfaite relisez vos feuilles d’impîts,
et si vous n’aimez pas S.B., n’en dĂ©goutez pas les autres !

Amiteusement,
San-Bernardo

CHAPITRE I

Moi, vous me connaissez ? Je suis pas le genre de mecton Ă  suçoter du Kusmi Tea en glaçons
 La night commençait Ă  pointer le bout de son blair et je me tortorais bien paisiblement la titine dans un rade de la rue Saint-Jacques en compagnie de votre bien-aimĂ© RĂ©bulier et du commissaire divisionnaire de la brigade criminelle de Pantruche, surblazĂ© Octogone rapport Ă  sa carrure d’armoire calorifugĂ©e et Ă  son goĂ»t prononcĂ© pour la lutte libre. Tout baignait dans l’huile. Nous clĂŽturions une bectance maousse Ă  nous en faire pĂ©ter la sous-ventriĂšre, et Octogone tĂ©tait un gĂ©nĂ©reux casse-patte Ă  se mettre les artĂšres en manches de ministre. Par-devers moi, l’HĂ©neaurme attaquait avec entrain son second baquet de mouclade charentaise tout en quĂ©mandant du rabiot de blanquette de veau. La vision de ce goinfre infernal m’étant dĂ©sormais habituelle, je sifflotais pour ma part la Marseillaise et une fine Ă  l’eau lorsqu’un traĂźne-patins aux allures de serveur[1] vint troubler ma digestion et notre brin de causette.

– S’cusez-moi de vous incommoder, M’sieur le commissaire, mais y’a du monde pour vous au bigophone

– Qui qu’est l’enviandĂ© qui ĂŽse venir troubler la nuiteuse quiĂ©tude des z’onnĂȘtes gens ?,  beugla RĂ©bu, les babines dĂ©goulinantes de jus.
– C’est la PJ, M’sieur Antoine, je crois que c’est urgent

– Merci gamin ! Quelle cabine ?
– La trois, M’sieur le commissaire, Ă  l’étage.
Je dĂ©colle subito mon derche du siĂšge, monte l’escalier quatre Ă  quatre, et dĂ©croche le bignou.
– À l’huile ?
– Commissaire San-Bernardo ?
– Himself !
– Nous avons une urgence
 Rendez-vous Ă  Orsay dans un quart d’heure. DĂ©pĂȘchez-vous.

V’la que les affaires reprennent
 J’descends attraper mon veston et mon adjoint.
– En avant, RĂ©bu, on plie les gaules !

CHAPITRE II

L’Abondant, qui a pris la tangente avec la corbeille de bread et sa gamelle, finit d’ingurgiter sa collation au pas de charge. Il me file le train en rouspĂ©tant. Nous voilĂ  devant le Quai. Je prie le Gros de bien vouloir s’essuyer les bajoues, de barricader sa margoulette et de nous laisser causer entre hommes. Nous pĂ©nĂ©trons dans le burlingue de Jean-Yves le Riant, qui n’a pas l’air joice du tout. Comme un bonnet de nuit, mĂȘme, il est triste, le gazier. Il est accompagnĂ© de Monseigneur Dominique Godelureau Haute-Cime de Vilepinte, qui n’est pas tout Ă  fait de basse extraction, comme vous pouvez vous le figurer.

– Commissaire San-Bernardo, la France a besoin de vous.
– Chanson nouvelle sur un air connu
 Mettez-moi au parfum !
– Comme vous le savez, il y a de l’eau dans le gaz entre nos amis Ukrainiens et les forces armĂ©es de Wladimir Putine dĂ©ployĂ©es dans l’ensemble du pays. En tant que dĂ©mocratie occidentale exemplaire et que puissance diplomatique majeure, nous avons pris, en conscience, et en accord avec Monsieur le prĂ©sident de la RĂ©publique, la dĂ©cision courageuse de ne rien faire.
– J’entends tout Ă  fait, mais je goberge que c’est pas pour m’annoncer mon dĂ©part Ă  la retraite anticipĂ© que vous m’avez fait rappliquer dare-dare à l’heure oĂč les bonnes gens roulent des patins Ă  leur polochon ?
– Comme toujours vous voyez juste, Antoine. Monsieur de Vilepinte va vous donner les instructions qui s’imposent.

Dominique Godelureau Haute-Cime de Vilepinte s’approche d’un pas dĂ©cidĂ©. C’est un homme de haute taille, qui arbore une criniĂšre onctueuse et un air constipĂ©. On sent derriĂšre son regard et son considĂ©rable tarin, un homme de flair et de compĂ©tence.

– Cher commissaire, l’heure est grave. Mes informateurs moscovites m’ont fait savoir, il y a quelques minutes, qu’un dĂ©sastreux projet se tramait au Kremlin
 Monsieur Putine, qui a perdu tout sens des convenances, projette d’envoyer, dans trois jours, un missile intercontinental sur Paris. Ce missile dĂ©truirait l’ensemble du continent europĂ©en, ce que nous ne souhaitons Ă©videmment pas.
– Je sens que ce dĂ©part Ă  la retraite se prĂ©cise

– « La tentation du dĂ©sespoir, dans les heures sombres, est le fait des lĂąches », Ă©crivait Thucydide

– Simple trait d’humour, M’sieur le Ministre, dĂ©roulez la partoche, je sens que vous commencez Ă  me captiver

– TrĂšs bien, je n’irai donc pas par quatre chemins : vous partez demain pour Moscou afin de subtiliser les codes nuclĂ©aires et de sauver le monde libre. Votre adjoint RĂ©bulier sera Ă©galement de l’opĂ©ration.
– Afin que vous puissiez commencer au plus vite cette mission, Antoine, j’ai quelque chose pour vous, ajoute le Riant.

Le vieux ouvre grand le tiroir de son Louis XV et en extirpe un demi-kilo de bicarbonate de soude, un compa (raison douteuse), une soupiĂšre en cuivre rĂ©tamĂ©e, un veau mieux que deux tue l’aura, une tranche de vie, six Ă©pluchures de kiwi, une mĂ©sange parfaitement empaillĂ©e, un amour impossible, cinq bourriches d’huĂźtres, une trĂšs mauvaise note, un rabbin islandais, deux banderilles dĂ©dicacĂ©es par Niño de la Capea, un costard en lin, un saucisson au marc de raisin, une vive altercation, une photographie de Xi Jinping en maillot de bain, un conseil d’ami qui te dit ça pour ton bien, trois piĂšges Ă  loup, un bouquet de violette et deux billets d’avion.
– Tenez, commissaire ! Voici vos cartes d’embarquement pour Moscou.
– Nous partons donc pour l’Afrique de l’Ouest !, s’exclame RĂ©bu, toujours pointu question gĂ©ographie.
– C’est Ă  peu prĂšs ça
 Un chauffeur vous attend en bas pour vous emmener Ă  l’aĂ©roport, ajoute sobrement Vilepinte.
– Formidable ! Moi qui ai toujours rĂȘvĂ© de prendre un colĂ©optĂšre !, s’enthousiasme Bouboule.
Nous voilà dans de beaux draps


CHAPITRE III

Le digĂ©rant Diplodocus et moi-mĂȘme prenons place Ă  bord du vol 835 pour la fĂ©dĂ©ration de Russie. Afin de ne pas attirer l’attention et de ne pas creuser le trou des dĂ©penses publiques, nous voyageons en classe pĂ©core. RĂ©bu ronfle dĂ©jĂ  comme un stentor. De mon cĂŽtĂ©, j’gamberge Ă  la suite des opĂ©rations
 Ça s’annonce plutĂŽt coton. D’autant que trois michtons enfouraillĂ©s nous attendent Ă  l’arrivĂ©e et qu’ils ne seront certainement pas lĂ  pour nous offrir un bain de pieds
 J’ai les idĂ©es cirageuses

Les diapos du patron ne laissent pas de place au doutes ce sont de vrais killers. Le tiercĂ© est le suivant : d’abord, Boris Boldurine. Avec sa barbe de vieux croyant et son physique de jeune premier, ce grand malossol de deux mĂštres, ancien du KGB, a poulopĂ© vingt piges entre la Sud de la PleurĂ©sie et le Nord du Khudsatan avant de devenir l’éminence grise de Putine. Il a toute la confiance du maĂźtre du Kremlin. Vient ensuite Sergei Kranhdoff, un petit bouriate, sans un poil sur le caillou. Originaire de ParuchĂ©hstock-OushĂ©grasseh[2], ce vĂ©tĂ©ran des forces spĂ©ciales a Ă©clusĂ© les steppes au moment des conflits tchĂ©tchĂšnes en massacrant tout sur son passage, et fait fortune dans l’exploitation du gaz. Le bonheur des Huns faisant, comme chacun sait, le malheur des autres
 La malsaine trinitĂ© se clĂŽt avec Youri Mauffesselev : une montagne de muscle du Ghranbindsan, quasi-analphabĂšte et quintuple champion national de roulette russe. NĂ© Ă  KhesquessĂ©quecebinsk, les essais nuclĂ©aires bolchĂ©viques ont modifiĂ© son code gĂ©nĂ©tique et en ont fait un colosse. Cet ancien dompteur d’ours et lutteur olympique du temps des soviets suprĂȘmes est connu des services de renseignement internationaux pour son incommensurable cruautĂ©. Il fait l’objet de 376 mandats d’arrĂȘt Ă  travers le World.

Je me tourne, un tantinet anxieux, vers le fĂ©al compagnon de mes folles entreprises. Le Kolossal, tout en dĂ©tente, se dandine sur son siĂšge, se racle la guargante et lĂąche un considĂ©rable caisson. Chose dont le bruit des rĂ©acteurs attĂ©nue la gravitĂ©. Pas d’inquiĂ©tude outre mesure de son cĂŽtĂ©, donc. La partie va nĂ©anmoins s’avĂ©rer dĂ©licate, d’autant qu’avec la nature gĂ©nĂ©reuse de ce cystiphore je peux m’attendre Ă  de redoutables bifurcations
 Bref, je ne donne pas chĂ©rot de nos osselets et on est bien partis pour l’avoir dans le pĂ©trousquin. Sans mĂȘme causer de la sacrĂ©e responsabilitĂ© qu’on a sur les endosses
 Nous nous orientons, de façon inĂ©luctable, vers une merde noire et quelques nuits blanches. Sorti de toutes ces horreurs borĂ©ales, la seule chose qui me remette un poil les idĂ©es Ă  l’endroit, c’est la prĂ©sence sur place de notre informatrice, la ravissante Olga Gloubiboulga, dont les diapositives projetĂ©es au ministĂšre lors du briefing m’ont mis en appĂ©tit.

CHAPITRE IV

DĂšs l’atterri (plutĂŽt sage) du coucou sur le tarmac, nous sautons dans un bahut. En quelques coups de volant nous voilĂ  downtown oĂč nous attend Djemal Hocqouille, un franco-bĂ©douin en planque ici sous le sobriquet de StivĂ©statoff. Je cloque sa Rondeur dans un troquet Ă  proximitĂ© et file au Bar-Bess oĂč le rendez-vous a Ă©tĂ© fixĂ©. Une fois le bar atteint (promis, j’en viens au fait !), les choses se corsent (in un scornu di lu mondu, ci hĂš un lucucciu di mierda). EffarĂ©, je galope direction la premiĂšre cabine.

– Mademoiselle Gloubiboulga ?
– Elle-mĂȘme
 Je ne vous attendais pas si tĂŽt. StivĂ©statoff est avec vous ? Comment s’est passĂ©e la prise de contact ?
– Froidement.
– Ah, ah. Vous vous y ferez, commissaire, c’est l’ñme russe !
– Je crains que vous ne me compreniez mal. Je suis arrivĂ© trop tard
Quelqu’un l’a refroidi.
– Vous plaisantez ?
– Pas du tout, mon petit. Je viens de le trouver
 assaisonnĂ© en pleine rue.
– Mon Dieu, c’est glaçant

– En effet, c’est ce qu’on appelle un ice-crime !
– Pauvre StivĂ©statoff, lui qui venait seulement de dĂ©buter son infiltration

– Ah, je comprends mieux. Il Ă©tait en pĂ©riode dĂ©cĂšs

– Cessez de plaisanter et retrouvez-moi dans 30 minutes au palais ImpĂ©rial, rue GroßtĂ©tine, face Ă  l’entrĂ©e de la galerie Lymytroff qui donne sur le boulevard Pompdesky. L’un des gardiens du Kremlin y a ses habitudes.
– Laissez-moi le time de passer un coup de bignou et une liquette, et je suis à vous !

Je retrouve l’HĂ©neaurme Ă  la place exacte oĂč je l’avais posĂ©. Son formidable postĂ©rieur avachi sur un tabouret au bord de la crise de nerf, entourĂ© d’une demi-douzaine de pue-la-sueur autochtones, RĂ©bu Ă©cluse paisiblement quelques gorgeons d’eau-de-vie d’Ararat en dissertant sur les choses de l’existence.

– Ho ! San-Bern’ ! Viens donc z’avec nous ! J’ai liĂ© conne essence avec ces bougres, ils sont pur gold !
– Sans façon, mon vieux. Je file dĂźner au palais ImpĂ©rial ! J’aurai d’ailleurs besoin de ton aide pour couvrir mes arriĂšres
 Je compte sur toi pour y ĂȘtre incognito dans une heure.
– Of course, chef ! Dans une heure pĂ©tanque ! Je vais me dĂ©gauchir un poil les cannes d’ici lĂ  en visitant le dĂ©solĂ© de les Nines[3].

CHAPITRE V

Comme vous vous en gourez sĂ»rement, le palais ImpĂ©rial n’est pas tout Ă  fait une gargote de Calcutta
 Des colonnades en marbre de Carrare, un plafond recouvert de lustres de cristal et une centaine de guĂ©ridons impeccables, dressĂ©s de broderies blanches et surmontĂ©s de candĂ©labres en or m’accueillent sans moufter. Un quartet de musicos joue un morcif en sol mineur pour cĂ©lĂ©brer la rĂ©volution d’octobre. Je zyeute un coup la salle quand j’aperçois Olga. Me v’la comme commotionnĂ©. Olga
 Quel sonnet ! C’est une fine nymphe blonde, souriante, gracile, racĂ©e, aĂ©rienne, aux grandes mirettes en amande, nuances saphirs. Le port est altier, l’ovale du visage divinement dessinĂ© et l’enveloppe adorable. C’est plus une gonzesse, c’est la GrĂące miniaturisĂ©e dans un mĂštre cinquante-sept
 Avec ses sourcils en ailes d’hirondelle, cette fĂ©Ă©rique fille a du ciel en elle. Qu’elle est aimable de ne pas s’envoler ![4] Jolie comme une nuit de juin, la gosse m’arrime du regard. Je me sens soudain sans sĂšve. La Verdoyante m’a coupĂ© l’herbe sous le pied, je suis comme qui dirait cueilli. Les garçons de table, rĂ©unis en un drĂŽle de conclave, la biglent mĂȘmement, en loucedĂ©, bien Ă©baubis, comme des pots de fleurs, en somme. Faut avouer (Ă  demie pardonnĂ©e ?) qu’elle ratisse large. On est jamais tout Ă  fait bien prĂȘt devant la beauté  C’est drĂŽle comme, tout San-Bern’ que je suis, je reste souventefois un gonze comme les autres. On est tous, ces moments-lĂ , comme le chiard septembral devant l’attrayante institutrice. Tout tourne trop solennel. On a le cƓur gros et plus tellement le sens des proportions[5]. Je m’explique pas bien le pouvoir que les donzelles peuvent prendre sur nozigues, comme ça, sans rien foutre, sans rien dĂ©montrer de particuliĂšrement remarquable. Elles ont qu’à paonner, poser, s’exposer, se proposer un chouia et c’est nous qui partons, mors aux dents, dans de drĂŽles de carrousels mentaux. L’Adorable remet le couvert : la v’la qui me lance maintenant un discret signe du bout des arpes. Je l’emmĂšnerai bien faire un tour, rien que tous les dieux, histoire de la glorifier un peu, en chair et en noces. Oh, comme j’adorerais partir en vacances dans son dĂ©licat dĂ©colleté  Allons bon, trĂȘve de digressions ! Je souffle un big coup, prends la dĂ©marche idoine Ă  ce type d’entretiens et me v’la devant sa table oĂč elle m’accueille d’un air affable (comme dirait La Fontaine).
– Ravie de faire votre connaissance, commissaire

– Tout le plaisir est pour moi.

Nous causons gentiment de la situasse lorsque les plats dĂ©boulent. J’me permets ici une incise afin de vous instruire, ĂŽ nets lecteurs, de quelques gĂ©nĂ©ralitĂ©s sur cette rĂ©gion du globe. On a beau dire, les popoffs peuvent nous tenir en respect question donzelles. Leurs femelles ont de la tenue. Les regards sont tranchants, les gambettes interminables et les pommettes saillantes (pas que les pommettes d’ailleurs
). En revanche, pour la bectance, c’est pas la mĂȘme limonade ! Ce que je vois dans mon assiette ne me semble pas franchement comestible
 Pour ĂȘtre tout Ă  fait honnĂȘte, il me semble mĂȘme que ça a dĂ©jĂ  Ă©tĂ© digĂ©rĂ©. Olga m’informe qu’il s’agit d’une spĂ©cialitĂ© du coin, qui nourrit la moitiĂ© du continent depuis Boris Godounov : le goulasch. J’entrave bien que le coin est plutĂŽt duraille et que les terres gelĂ©es ne permettent pas de merveilles gastronomiques, mais rester en panne mille ans sur ce genre de tambouille me paraĂźt pour le moins suspect. La mĂ©lasse qui se trouve dans ma gamelle me semble d’ailleurs bien Ă©trange
 J’approche mon blair discrĂštement de cette bouillasse. Elle ne schmecte rien
 Vous vous en doutez, la perspective d’un casse-dalle au Polonium ne m’enchante guĂšre. Comment me tirer de ce faux-pas ? Refuser le plat, ce serait froisser mon hĂŽtesse et ce n’est pas ce que je souhaite (du moins pas dans ce sens-lĂ )
 Je virgule un coup d’Ɠil navrĂ© Ă  la tablĂ©e voisine. Un gros bonhomme empingouinĂ© est en pleine bombance avec deux naĂŻades au trois quarts majeures et Ă  demi-nues. Un saladier de caviar est posĂ© sur la table et le roteux MoĂ«t-Crystal est de sortie. J’augure que mon bienheureux voisin a Ă©galement, devant lui, une assiette de ce plat Ă©tonnant. Comment Ă©changer nos gamelles ?

Les plombes passent et sa sĂ©rĂ©nissime altesse RĂ©bu Ier, grand sĂ©nĂ©chal de la pistache et Roi des glands, ne pointe toujours pas le bout de son blair. Je ne saurais vous dire pourquoi, chĂšres lectrices, ĂŽ trĂ©sors bleus de mon Ăąme indolente, mais j’ai comme un mauvais pressentiment
 Laisser l’ObĂšse partir en goguette dans un patelin oĂč le moindre tord-boyau Ă  licher ascensionne facile jusqu’à 39,5° me file un chouĂŻa le tracsiff. Je crains que mon australopithĂšque favori ne me concocte un enfiĂšvrement dont lui seul a le secret et aille s’embarquer dans je ne sais quel ahurissant zapoï
 Tout Ă  coup, j’esgourde un formidable fracas, un faramineux raffut, un colossal esclandre[6] !

Un barnum de tous les diables commence du cĂŽtĂ© du vestiaire quand je vois surgir, tonitruant, un ĂȘtre absolument indescriptible (je vais m’y escrimer tout de mĂȘme). AccoutrĂ© d’une chapka Ă©limĂ©e en peau de lapin, d’une salopette rapiĂ©cĂ©e dont la bretelle droite danse la gigolette derriĂšre son passage, la trogne rubiconde, tonitruant des propos incohĂ©rents en franco-ruskoff tarabiscotĂ©, l’Abominable Homme des Tavernes fait une entrĂ©e tapageuse dans notre cantine. Le Mastar est rouge comme une Ă©crevisse, essoufflĂ© comme une bƓuf et gueulard comme un putois. C’est plus un bonhomme, c’est une animalerie au complet qui se rameute ! Cet Ă©lĂ©phanteau, embarquĂ© dans une crise de delirium pas si mince, va tout faire foirer
 Moi, vous me connaissez ? Comme vous vous en gourez, je me gondole un poil en voyant dĂ©bouler l’HĂ©neaurme de cette humeur, mais la situasse n’est pas cirrhose
 Sinzano priez pour nous ! On joue malgrĂ© tout notre cuir dans cette affaire et je sens qu’on s’embarque gaillardement vers une sĂ©ance de kir Ă  la carabine pas piquĂ©e des vermisseaux.

– Hep, ma bonn’dame ! Esse pas pĂŽssib’ grignotevitch oune pĂštite kekchoss ? », barrit l’Immense. Soixante tronches Ă©bahies se tournent en un clin d’Ɠil vers l’Ultime Porcelet. Je profite de la confuse pour Ă©changer prestement mon Ă©cuelle et celle de l’oligarque. RĂ©bu, empoignĂ© de toute part, est poussĂ© vers la sortie. Il tonne de plus en plus fort. À la demande discrĂšte du gĂ©rant, les musicastres accĂ©lĂšrent la cadence pour essayer de camoufler le skandal. Sa Lourdeur se dĂ©bat, hurle Ă  plein poumons, mais on ne l’entend presque plus. « Margoulins ! InfĂąmes ! Communisses ! ». Il a dĂ©jĂ  un pied dehors quand, soudain, Ă  la fin d’une adagio sublime, la derniĂšre note de violon retentit. Le silence est bĂ©ant lorsque RĂ©bu passe Ă  l’attaque. L’ObĂšse, comprimĂ© par huit serveurs Ă  bout de souffle, dont l’un tire de toute ses forces sa brettelle tel un cheval de halage, lĂąche subitement une gigantesque perlouze. La dĂ©flagration est telle qu’elle fait trembler les lustres[7]. Les bougies, soufflĂ©es, s’éteignent. Les vitres ont sautĂ©. Nous voilĂ  plongĂ©s dans la pĂ©nombre propice aux amours ancillaires
 Autour, c’est le branle-bas-de-combat. Les serveurs courent en tous sens pour Ă©chapper Ă  cette attaque de gaz moutarde. Ça se tamponne, ça se renverse, ça s’entrechoc, ça se colusionne. On entend des cris stridents, des bruits de torgnoles et de soupiĂšres renversĂ©es.

La confuse est hyper-totale quand je sens une ferme paluche se poser sur mon Ă©paule. Ni une, ni deux, j’empogne Ă  deux mains le samovar en fonte qui se trouve sur notre table et l’envoi vigoureusement valdinguer, façon Spoutnik, dans la tronche de l’inconnu qui s’endort subito d’un sommeil aussi profond que le gouffre de Padirac. Mon invitĂ© mystĂšre s’écroule sur moi de toute sa masse. PropulsĂ© en avant Ă  fond les baloons, je viens heurter de plein fouet la table qui bascule brusquement, Ă  la maniĂšre d’un trĂ©buchet. Bang ! Vzoum ! Bwraf ! VoilĂ  nos goulaschs catapultĂ©s Ă  pleine turbine sur les deux pouffiasses de la tablĂ©e voisine qui se mettent Ă  bramer Ă  l’unisson et Ă  se trĂ©mousser frĂ©nĂ©tiquement. Anarchie, chaos, capharnaĂŒm ! 100% sonnĂ©, je parviens Ă  m’extirper de sous mon assaillant et profite de l’obscuritĂ© pour le fouiller. Cette inertie de mammifĂšre antĂ©diluvien, ce faciĂšs casaniçois (qui mal y pense ?), ce falzar tendu jusqu’aux limites de la catastrophe, ce quintuple-menton, ces sourcils joints comme les mains d’une premiĂšre communiante, cette belle odeur de sueur prolĂ©tarienne, cette bacchante balzacienne, ces petites orbites porcines
 Illico ça ring a bell. Morbleu de Myriamerde ! J’ai occis RĂ©bu !

MalgrĂ© mes recommandations nombreuses, l’Immense est parti siroter dans le grandiose. Il a le fond de teint beaujolpif et pas plus de contenance que de margarine dans la culotte d’un zouave. L’autre crĂšme de gland a dĂ» sacrĂ©ment dĂ©passer les bornes et s’arroser comme il faut l’escalier de la cave car je tourne presque de l’Ɠil Ă  son haleine qui me rappelle nos visites estivales Ă  la coopĂ©rative viticole de JuliĂšnas. Mais revenons-en Ă  la situasse. J’ai comme de la fuite dans les idĂ©es mais Elephant Man est au point mort
 Afin de sortir ce trou du schpountz du coma, je dĂ©cide de lui claquer une salade de phalanges de quatre livres et demie Ă  travers la frimousse. RĂ©bu ouvre un vasistas visqueux.

– Mais oĂč qu’on est ? K’est ce qu’on fout dans le noir ? Qu’esse qui s’passe ? beugle le DĂ©vastĂ©.
– Écoute-moi bien, marouflard infernal, il va falloir la jouer dans le feutrĂ© si on ne veut pas finir avec toute l’armĂ©e rouge sur le paletot !!! PigĂ© ? C’est Ă  la flĂ»te de pan que ça va se jouer si on ne veut pas l’avoir in the baba, comme on dit Ă  Rome ! C’est donc pas le moment de sortir l’artillerie lourde ni les tambours du Mato Grosso ! Quant Ă  votre attitude hautement dĂ©plorable lors de cette mission d’infiltration, inspecteur Alexandre-BenoĂźt RĂ©bulier, elle sera communiquĂ©e en haut-lieu !
– Jt’assure que j’y suis pour rien, vieux
 Je me suis Ă  peine humectĂ© les amicales
, balbutie RĂ©bu.
Le Gros Biquet poursuit ses salades Ă  voix basse pendant l’évacuation. Je me tamponne le coquillard de ses explications comme de ma premiĂšre chaude-pisse. Nous mettons les adjas et nous trissons rapidos par une rue agaçante[8].

CHAPITRE VI

J’ai consignĂ© RĂ©bu dans sa piaule. Sa Rondeur dort du sommeil des justes et vrombit comme une double moteur 700 chevaux de Tupolev SB-2. Nous n’avons pas encore croisĂ© la route de nos trois affreux mais on ne peut pas dire que nous ayons progressĂ© d’un iota
 StivĂ©statoff est Ă  la morgue, Olga disparue, et notre matuche dans la nature
 Comment obtenir les foutus clavettes de la salle des coffres et rĂ©cupĂ©rer les codes ? C’est Ă  tout ça que je phosphore au bar de l’hĂŽtel, en compagnie de ma triple vodka glace, lorsque deux mimines de velours se posent sur mes hanches en acier trempĂ©.

– Quel fiasco, Antoine
 Je crois que vous me devez un dĂźner en tĂȘte-Ă -tĂȘte

– Olga ! Comment vous ĂȘtes-vous tirĂ©e de ce bourbier ? Et
 Vous vous ĂȘtes changĂ©e ?!
– Oui, j’ai prĂ©fĂ©rĂ© passer une nouvelle robe, l’autre Ă©tait si dĂ©chirĂ©e

– Quel dommage

– Si nous sortions prendre un peu l’air, commissaire ?
– Vous avez raison, je n’y vois plus clair


Nous marchons cĂŽte Ă  cĂŽte dans la noye, silencieusement, le long du boulevard ToubĂšneff when nous entendons des braillements de soiffards. Une altercation ? À quelques mĂštres devant nous, un homme en uniforme glisse de tout son long sur le trottoir gelĂ©. Un coup de pied pleine pompe au poumpadĂšre l’a projetĂ© manu militari hors de son zinc chĂ©ri. La lourde claque derriĂšre lui avec tumulte, et sa casquette de la garde le rejoint sur le macadam quelques secondes (j’ai oubliĂ© de les compter mais je sais qu’elles Ă©taient plusieurs !) plus tard en passant par la lucarne. Le valeureux fonctionnaire, rond comme une queue de Peul, rouscaille, se redresse Ă  tĂątons, enfonce sa chapka sur son crĂąne et titube quelques pas avant de s’effondrer sur un banc pour y entreprendre un roupillon aussi profond que la psychologie d’un hĂ©ros de DostoĂŻevski. Je me rapproche de cet Ă©nergumĂšne Ă  pas de wolf, fouille sa pĂšlerine et y dĂ©gote un jeu de clefs plus imposant que celui de saint Pierre himself. Olga riote.

– Quelle chance, Antoine ! Cette clĂ©-ci est celle de l’entrĂ©e de la garde, celle-lĂ  de la salle des coffres. La vie est parfois incroyable
 Quel roman !
Je virgule mon sourire de tombeur n°173 à Olga, et entreprends de me déloquer.
– Commissaire
 Vous me plaisez beaucoup et je connais la rĂ©putation de vos compatriotes, mais, enfin
 Ici, Ă  cette heure, sous la neige et en pleine rue ?, bredouille Olga en dĂ©tournant le regard.
– Avec vous, ma toute belle, ça pourrait ĂȘtre au sommet du Kikimandjaro ou au trĂ©fonds de la grande palmeraie de Zizi-Ouzou que ça ne ferait aucune diffĂ©rence ! Nonobstant, ne perdez pas votre sang froid, je compte seulement dĂ©rober les fringues de notre ami ici prĂ©sent afin de pĂ©nĂ©trer dans le Kremlin sans accrocs.
– Oh, Antoine, comme vous ĂȘtes ingĂ©nieux !
– Vous pouvez vous retourner. Alors, qu’en pensez-vous ? N’ai-je pas fiùre allure ?
– N’exagĂ©rons rien
 Disons que
 ça fera l’affaire !, pouffe discrĂštement la Doucette.

CHAPITRE VII

À peine arrivĂ©s dans la salle des coffres v’la que j’esgourde des pas dans le couloir. Un troupeau de pachydermes en rut ne serait pas plus tonitruant. Les voilĂ  qui rappliquent dare-dare pour nous zigouiller, nous, nos fils et nos compagnes. La lourde claque un grand coup. MĂąnes de mes aĂŻeux, quel embarras mortel ! Nous voilĂ  coincaresse en mauvaise compagnie
 Boldurine, Kranhdoff et Mauffesselev entrent en roulant des mĂ©caniques. Ma parole, c’est le gala des enviandĂ©s ! Charmante villĂ©giature
 J’ai comme l’impression que ces Russekis empiĂštent sur mon espace vital. Puisqu’oncques ne songe Ă  entamer les hostilitĂ©s, j’ai dĂ©cidĂ© d’artagner comme il faut !

– Ta derniĂšre heure a sonnĂ©, San-Bernardo !, s’exclame le plus c
 des trois.
– Écoute-moi bien, mon petit bonhomme en mousse
 Primo, je te recommande de te munir d’un double dĂ©cimĂštre pour bien mesurer tes paroles. Deuxio, faudrait aussi penser Ă  ajuster ta tocante, parce que c’est pas trois gugusses de votre acabit qui vont m’envoyer faire ronron au purgatoire.

AprĂšs cette sortie rĂ©ussie, j’ai juste le time de prĂ©cipiter mon Olga derriĂšre un fauteuil et me voilĂ  de nouveau face Ă  ce triumvirat de mauvais aloi. La Ravissante a l’air de chairedepouler un poil. Je lui virgule mon plus bath sourire.
Mauffesselev tente une approche timide, j’arrĂȘte son crochet du droit et lance toutes mes forces dans la bagarre. En avant la moujik ! Je m’en donne Ă  cƓur joie ! Quelle corrida, mes bons amis
 J’entame ma leçon inaugurale de satonnage en me jetant au sol subito. Kranhdoff se rue sur moi avec sa tronche de suppositoire, je l’attrape par le colbac et lui administre ma plus belle planchette japonaise. Objectif lune pour le ruskoff qui part s’encastrer joyeusement dans la cloison. Chauve qui peut ! Kranhdoff s’écrase. BrisĂ©, il est. Comme dirait ma bonne FĂ©licitĂ©, on ne fait pas d’omelettes sans casser des Ɠufs

J’me relĂšve presto. Les deux affreux restants me font face. J’envoie Mauffesselev au coin en lui administrant une talmouse bien mĂ©ritĂ©e façon instituteur de la IIIe RĂ©publique avant de bondir sur Boldurine. Mes deux chassĂ©s latĂ©raux comacs lui coupent la chique. Faut dire que j’ai mis le paquet. J’enchaĂźne en lui cloquant un penalty tout schuss dans les bollocks qui lui arrange les nouilles en collier façon fĂȘte des paires ! Le colosse des Carpates, soudain, verdi (sans paraĂźtre rigoletto outre-mesure), et chancelle[9]. J’éteins dĂ©finitivement la lumiĂšre en lui envoyant une mornifle d’ours brun dans la gamelle Ă  phosphore qui le laisse entre la vie et la morgue.

De son cĂŽtĂ©, Mauffesselev veut jouer les prolongations et a eu, de lui-mĂȘme, l’idĂ©e saugrenue de se relever. FatiguĂ© de tout ce remue-mĂ©ninges, je dĂ©cide d’abrĂ©ger notre sĂ©ance d’échauffement en dĂ©gainant mon Magnum et en collant deux pruneaux meĂ»meĂ» dans les rotules de cette andouille pour lui inculquer les bonnes maniĂšres. Afin d’arrĂȘter ses beuglements de mammouth constipĂ© je prends les devants et provoque une rencontre inopinĂ©e, mais intense, entre la crosse de mon .44 et sa tempe droite. Bingo ! Le sagouin soviĂ©tique tire sa rĂ©vĂ©rence et s’en va roupiller dans les bras de MorphĂ©e. Je rengaine mon appareil Ă  distribuer des somnifĂšres dĂ©finitifs et me dĂ©sintĂ©resse de son cas.

Alors, le temps suspend son vol et la DĂ©licieuse sort discrĂštement de sa planque. Elle lĂšve sa mignonne frimousse et me dĂ©croche un smile qui me fait fondre comme les antiques glaces de la Volga aux lueurs douces et suaves du printemps moscovite. J’essaye de ne pas perdre le self control qui me caractĂ©rise, mais je me sens soudain d’une humeur bigrement poĂ©tique. J’ai dans le palpitant une escarbille de tendresse et une fleur me pousse dans la tirelire. Traduisez : c’est comme qui dirait Sarajevo dans mon slobart, j’ai les baloches Ă  fleur de peau, la frĂ©nĂ©sie calbardiĂšre et je me sens tout prĂȘt Ă  hisser les couleurs. PrioritĂ© au direct, me dis-je, c’est pas le moment de se goberger des dĂ©lices de Capoue en dĂ©piautant cette tigresse sibĂ©rienne. Ce n’est que later qu’on ira se faire lustrer la tĂ©toche ! Dans la vie, faut y aller steppes by steppes[10].

Le commissaire San-Bernardo a tout de mĂȘme une conscience professionnelle et un turbin Ă  liquider. J’ai pas fait 2 486 bornes pour me la tailler en biseau. Il est temps de se manier la rondelle et de se farcir ce coffre rapidos ! Le coffiot en question est un Fichet YA-V 124*86-7 bunkerisĂ© de 215 litres avec systĂšme de fixation en goupilles du bloc serrure de sĂ©curitĂ© patibulaire, trilobites mobiles Ă  butĂ©es de verrouillage combinatoire, quintuple tringlerie de manganĂšse renforcĂ©e sur ressorts, coque Ă©tanche en simili-kevlar blindĂ© Ă  triple pontage coronarien, combinaison mĂ©cano-thermostatique tactile Ă  stabilisateurs tubulaires biomĂ©triques inversĂ©s, molettes et glissiĂšres mobiles pharyngĂ©es avec hĂ©lices Ă  capuchons communicants, monnayeurs manchonnĂ©s tri-convexe Ă  renforcement automatique et alarme ultra-sonique Ă  rayons conducteurs infra-rouges progressifs. En bref, c’est du tout cuit ! Violer verrous, cadenas et serrures est chez moi une seconde nature, c’est mon cĂŽtĂ© Louis XVI[11].
Les codes dans la pocket, Olga dans la pogne, je prends la tangente direction l’hîtel.

CHAPITRE VIII

Ça y est, l’heure a sonnĂ© ! Pour une maousse party de bas-ventre, je suis comme qui dirait la personne idoine. C’est le moment de l’empapaouter et je suis bien rĂ©solu Ă  lui faire le coup du Grand Vizir because question KĂąma-SĂ»tra, j’en connais un rayon. Ardent tringleur, j’ai dĂ©cidĂ© de lui sortir toutes mes astuces plumardiĂšres et mes connaissances anatomiques (qui sont aussi vastes que la SibĂ©rie). Hardi petit ! M’est avis qu’on est en train de s’engager dans une partie de jambonneaux comac


La jouvencelle s’approche de votre serviteur, se pavane comme une infante dĂ©funte, passe ses mains autour de mon cou, puis me fixe de son petit air mutin. Je lui lĂąche un bĂ©cot baveux de garçon de ferme et dĂ©pose mes paluches sur ses hanches marmorĂ©ennes. J’ai le zobar suppliciant. MadĂąme se pĂąme. Cette gosse met tant de cĂ©lĂ©ritĂ© Ă  dĂ©faillir ! La v’la qui se marre maintenant, d’un mignon rire perlĂ©. Je crois qu’elle a pas bien pigĂ© dans quel drĂŽle de manĂšge elle Ă©tait en train de mettre les nougats
 Je vais la fignoler, moi ! On est partis pour une sĂ©ance de radada si formide qu’il va lui falloir une visite chez le toubib pour se reconstituer ! Elle est offerte, ouverte comme les portes de Westminster Abbey un jour de couronnement. J’arrache ma lime, dĂ©pose la demoiselle sur le paddock et passe Ă  l’attaque. J’ai dĂ©cidĂ© de laisser Ă  la mĂŽme un bon souvenir du pays des Doigts de l’Homme et de lui rĂ©vĂ©ler toute l’étendue de mon talent.

J’dĂ©mare molo avec le coup du frisson Ă  moustache puis j’enchaĂźne avec le babouin glouton, et poursuis sur ma lancĂ©e avec la toupie baveuse et l’amortisseur tĂ©lescopique. Mon Dieu, quelle orgie ! La Sauvageonne est dans tous ses Ă©tats. Heureusement que la piaule est capitonnĂ©e car on atteint des niveaux de ramdam pas racontables. MĂ©zig et la Petite, on est comme en fusion. On est branchĂ© sur du 4 000 volts, en circuit fermĂ©. Moi, vous me connaissez ? Je pratique l’amour terroriste et le plastiquage de bonbons, je suis le Grand Khan du feu d’artifesse. Mes nuits bleues ont comme un arriĂšre-goĂ»t de courbatures
 Quand je me lance dans ce genre de commando, c’est toujours aux cĂŽtĂ©s du Front de LibĂ©ration des Noisettes et du C
, tendance Canal HystĂ©rique. J’sais pas si vous mesurez la portĂ©e de mon solo de balalaĂŻka, avec vos petites tronches de microcĂ©phales, mais je peux vous dire que mon Olga, elle, l’apprĂ©cie. J’ai le missile Ă  tĂȘte chercheuse qui a triplĂ© de volume et on est Ă  deux doigts de perdre connaissance tous les deux quand, suddenly, afin d’enfoncer le clou, je dĂ©cide de finisher en beautĂ© avec ma spĂ©ciale des grands soirs : le presse-purĂ©e bulgare. C’est plus un coĂŻt, c’est de la sauvagerie. Nous roulons fissa sur l’autoroute du plaisir et avons du mal Ă  rĂ©frĂ©ner nos transports en commun


Au plus fort de la chasse Ă  courre, la russkoff perd tout sens de la mesure. La gonzesse n’est plus sonorisĂ©e, elle est portĂ©e sur l’incandescence. C’est le grabuge monstre dans notre isba, le grand circus, la bamboche des big days. Elle interjectionne, s’émotionne, s’exclame, m’acclame. Nous nous sommes, ça, je crois, bien trouvĂ©s. C’est ce qu’on appelle, dans le jargon de mĂ©zig, une rencontre au sommier ! À pine terminĂ©e, on frappe Ă  la porte. À quelques minutes prĂšs nous Ă©tions pris en flagrant du lit
 J’open la lourde en homme comblĂ©, la biroute turgescente et le smile au lĂšvre, quand je prends subito un grand coup de barre Ă  mine au milieu de la calebasse. Je vacille (de corps), m’acier, puis mĂ©tal. Que fer ?

CHAPITRE IX

Un sodo glacial me sort du coma. En entrouvrant les chasses je distingue confusĂ©ment trois silhouettes sinistres. Peu Ă  peu mes mirettes font la mise au point. Et le spectacle ne m’enchante guĂšre
 Debout, entourĂ©e de deux grobras, Olga me zyeute d’un air d’autoroute.

– Commissaire
 Comme vous ĂȘtes prĂ©visible !
– Chùre Olga, ce n’est pas ce que vous racontiez, pas plus tard qu’il y a cinq minutes, quand j’ai subitement

– Taisez-vous !, m’interrompt la tigresse. AydĂȘzourç, administrez son somnifĂšre Ă  Monsieur !

L’un des deux gorilles s’approche d’un pas tibulaire. Cet enfifrĂ© est balĂšze comme un Turc. Les coups pleuvent. Je dois dire qu’il Bosphore. Je forget mon blase, la hausse des prix du carbure, les dix commandements, et dĂ©guste une tisane de poings qui me renvoie au dodo.
A few moments later, je suis inopinĂ©ment sorti de mon hibernation par un maxi coup de babouche dans les aumĂŽniĂšres, administrĂ©, cette fois-ci, par le second gorille. J’ai les litchis en coulis. Ce tueur-lĂ  porte le genre Chaybanides. C’est plus une association de malfaiteurs, c’est United Colors of Corruption ! MalgrĂ© son faciĂšs difficile, je le trouve quand mĂȘme gonflĂ© de passer ses nerfs sur mes glaouis
 Normal, me direz-vous, c’est un Mongol fier[12].

– Bien concentrĂ©, cette fois, Antoine ?, reprend la Toute Belle.
– TraĂźtresse ! Moi qui nous visualisais fĂ©lon pour l’autre
, dis-je, afin de gagner du temps en emmenant Madame promener un peu sur la carte des tendres. But in the end, c’est pain perdu.
– Commissaire, j’ai tuĂ© StivĂ©statoff quelques minutes avant votre arrivĂ©e. C’est moi qui ai prĂ©venu Boris, SergueĂŻ et Youri de notre entrĂ©e au Kremlin. Je suis le cerveau de cette opĂ©ration. Alors Ă©pargnez-moi vos salamalecs, je vous prie. Ces trois incapables n’ont pas su vous arrĂȘter. Je saurais, moi, m’en charger !

Olga s’approche de mĂ©zig avec un pic aussi pointu que celui de la Mirandole. Je sens que je vais finir poinçonnĂ© façon ticket de mĂ©tro, direction le terminus, station boulevard des allongĂ©s. C’est la fin des flageolets
 Sur cette rĂ©flexion pleine d’optimisme, j’entends toquer trois fois Ă  la puerta. Quel coup de thĂ©Ăątre !

– Qu’est-ce que c’est ?, interroge Olga, d’une voix suave, en faisant signe à Jules et Jim de la boucler.
– Đ­Ń‚ĐŸ ĐșŃƒŃ€ŃŒĐ”Ń€ Uber Eat. ĐŻ ОЎу Đ·Đ° ĐŽĐŸŃŃ‚Đ°ĐČĐșĐŸĐč трДх ĐłŃƒĐ»ŃŃˆĐ”Đč!
– Entrez, entrez donc !, s’exclame sa Splendeur en ouvrant la lourde.

Olga tire une drĂŽle de terrine en apercevant son livreur. Too late ! Plus on est de fous, plus on rit. RĂ©bu entre en trombe dans la piĂšce. C’est le festival de la torgnole, la grande polka des mandalettes. Il pleut des calottes comme Ă  Gravelotte ! Igor et Grichka sont mis hors d’état de nuire en quelques secondes. Le Gros leur administre une dĂ©gelĂ©e de groseille dans la poire. Les arcades et les tarins sautent comme des cabris (c’est fini !) et nos deux compĂšres partent en arrĂȘt de travail longue durĂ©e. Olga est mĂ©dusĂ©e comme une plage de La Baule au mois de juillet. EmportĂ© dans son Ă©lan dĂ©vastateur, RĂ©bu profite de sa dĂ©confiture pour lui coller une beigne courtoise, mais zĂ©lĂ©e, qui l’envoie valdinguer Ă  l’autre bout de la piĂšce. La gamine a l’air sonnĂ©. Elle a comme qui dirait le papillon qui tape dans l’abat-jour.

RĂ©bu me dĂ©ligote pendant qu’Olga entame un petit somme. J’agrippe les codes posĂ©s sur la table et me tourne vers mon sauveur.
– Alors, chef ? On s’esbigne ? Qu’esse qu’on fout de la mîme ?..
– Laisse-là pioncer, va. Elle est encore plus bath quand elle dort


CHAPITRE X

Me v’la enfin de retour Ă  Paname. À peine arrivĂ©s, je dĂ©pose RĂ©bu et les codes Ă  la maison poulaga et file chez FĂ©licitĂ©. Ma dabette m’attend, souriante, avec a lot of tendresse et un poulet Ă  l’estragon. Quel velours c’est, ma mater, et quel bonheur de revenir at home (de Savoie) !
– Antoine ! Mon fils !, glapit la bonne vieille en me voyant dĂ©barouler sur le pas de la porte.
Ça hume bon la popote, le cafĂ© tchou-tchoutte rieusement sur le feu, mon plume est ready et la table est mise. Vous allez sĂ»rement me trouver pĂ©trograd mais je me dis in petto que s’il y a bien une donzelle Ă  qui on peut faire confiance, c’est sa daronne, Ă©tant entendu les souffrances qu’elle a dĂ» digĂ©rer pour mettre bas et l’adoration somme toute trĂšs considĂ©rable qu’elle a pour sa progĂ©niture. L’amour de nos gĂ©nitrices est quelque chose de parfaitement extraordinaire, croyez-moi bien. C’est comme un chĂšque Ă  blanc qu’elles nous font Ă  la naissance, nos vieilles. Pour tous les affronts, cruelles couillonnades, innombrables singeries qui s’annoncent. Nos mĂšres pratiquent comme personne le pardon des offenses. Quand un demi-sel termine sa course au ballon son pater le renie, ses potes se font la malle, sa rĂ©guliĂšre va voir ailleurs s’il n’y est pas. Qui c’est qui reste pour lui ramener, semaines aprĂšs semaines, des pĂątes de fruit et un paquet de sĂšches au parloir et pour l’esgourder bien comprĂ©hensivement radoter comment qu’il est si chagrin d’avoir tout foirĂ© ? Des gonzesses, y’en a plein les trottoirs, plein les bureaux de vote et les boĂźtes Ă  la mode, mais des daronnes on en a jamais qu’une
 PassĂ©s les soubresauts de la gaudriole et les Ă©garements du cƓur, on a tous besoin d’une sainte. Alors ce soir, ce sera plateau tĂ©lĂ© et mots-croisĂ©s avec FĂ©licitĂ©. In fine, je crois que je suis vraiment un bonhomme d’habitude.

SAN-BERNARDO


FIN

– Gard, ChilpĂ©ric, Du Rififi chez les Russkoffs, Torrent Ă©dition, coll. « Torrent sombre », sĂ©rie « San-Bernardo », 212 pages, 15,50 €

[1] Ou l’inverse, je ne sais plus


[2] Je prĂ©cise Ă  mes bons lecteurs qu’il ne s’agit pas ici de publicitĂ© dĂ©guisĂ©e et que je ne touche aucun droits d’auteur sur cette vanne, nĂ©anmoins trĂšs bonne.

[3] Rébu veut sûrement parler ici du Mausolée de Lénine.

[4] Cette phrase n’est pas de moi, mais je trouve qu’elle s’insĂšre bien ici
 D’ailleurs, les phrases c’est comme les maĂźtresses ou les raquettes de squash : faut pas hĂ©siter Ă  les emprunter une heure ou deux, de temps Ă  autre !

[5] Ne faites pas l’autruche et avouez quand mĂȘme, tout littĂ©raro-snobinards que vous ĂȘtes, qu’ici je vous Ă©meu un chouia !

[6] Je suis atteint de synonymite aiguĂ« depuis quelques jours, je prie humblement mes comprĂ©hensifs lecteurs de bien vouloir m’en excuser


[7] J’invite les outrecuidants qui remettraient en cause l’authenticitĂ© de cette scĂšne, Ă  fermer tout de suite ce bouquin, Ă  ouvrir un Mauriac et aller se faire disloquer le fondement chez les HellĂšnes. ActivitĂ©s qui, soit dit entre vous et moi, vont trĂšs bien ensemble.

[8] Comme dirait RĂ©bu.

[9] Un peu comme Jacques


[10] J’avais un truc important Ă  vous prĂ©ciser ici mais je me souviens plus bien quoi


[11] J’essaye quand mĂȘme, autant que faire se peut, de garder la tĂȘte sur les Ă©paules.

[12] Avec des métaphores entrelacées de cet acabit, je sens que mon prix Goncourt se précise !