Elle s’élance. Crinière au vent. Pas vif. Chaque talon somme le bitume d’applaudir. Elle ne marche pas, elle conquiert. Elle convoque. Elle réunit. Et la magie opère : la rue entière lui répond.
Les flammes imaginaires tapies derrière les gouttières, les peurs en maraude, les regards si bas qu’il en sont tombés sans personne pour les ramasser, les rêves déposés entre deux murs au détour d’une pause déjeuner. En sentinelles fidèles, ils l’entourent, l’enveloppent. La rue l’escorte. Les néons s’excusent d’avoir cru savoir ce que briller voulait dire. Les réverbères s’inclinent davantage.
La tête est haute, le regard droit. Elle fuse, dans une robe à sequins qui lui confère une allure de comète. Le trajet est court, il lui sert à enfiler l’armure. Celle qui la protègera de la morsure des mots sales, de l’assaut des rétines tapissées de haine. Celle qu’elle glisse entre sa peau et le monde.
Une vie, c’est le temps qu’elle a mis à la construire. Elle l’a forgée sur mesure. Sur le bitume. Sans lumière. Et comme il n’y a pas de remparts plus redoutables que ceux construits dans le noir, elle est d’une efficacité féroce. C’est un sas de décompression. Une mue express. De la femme au fantôme, de l’être au fantasme, il n’y a qu’une enjambée. Toujours la plus difficile à faire.
Parfois, dans le flou d’un abribus ou la vitrine d’une pharmacie, elle croise son reflet. Elle est toujours étonnée de l’y trouver – elle fait partie de ces oiseaux de nuits qu’on ne voit que si on en a envie. Pour ceux qu’elle n’intéresse pas, elle est invisible, intégrée aux murs.

Quand elle se regarde, ce n’est qu’une seconde. Le temps d’un battement de cils, pas plus. Elle ajuste la bretelle, vérifie que la gorge est assez découverte, s’assure que le sourire claque comme une gifle. Il ne faut pas douter. Jamais. Le moindre millimètre cédé à la honte ou à la peur peut suffire à tout abîmer en soi.
Elle a appris à se peindre pour la guerre, d’abord. C’est important, d’avoir les couleurs de la victoire quand on combat.
Le mascara sert de barrière de sécurité aux larmes qu’il ne faut pas pleurer, le fard à paupières fait danser le sordide avec les paillettes, la bouche rouge vif fait barrage entre...