Cet été, Zone Critique confie ses pages à un écrivain pour un journal de bord en quatre temps, chronique libre de vacances vécues et documentées. En août, c’est Rose Vidal, autrice de l’éclatant Drama Doll (Gallimard), qui prend la plume.

Le monde a changé plus vite que vous.

Mais vous ? Avez-vous changé plus vite que le monde ?

Réflexions sur la vacance

Ce ne sont pas tes devoirs, mais tes droits de vacances : Prends le temps de te faire éveiller par la lumière le matin, et de t’endormir sous elle lorsque le soleil entame sa course descendante.

Prends le temps de fermer ta bouche et ouvrir ta main – il parait qu’elle a des choses à dire elle aussi. Les mots sortent, si ce n’est pas par la bouche, ce sera par ailleurs.

Ouvre ta main et laisse tomber ton téléphone. On s’en fiche du mode avion, pourquoi on aurait besoin d’un avion pour penser le silence ? Avec le barouf que ça fait. Et puis le mode – pas la mode, mais le, le modal. 

  1. (Philosophie)qui se rapporte aux modes d’une substance.
  2. (logique) Rapporté au sujet selon un mode déterminé (possibilité ou impossibilité, nécessité ou contingence). → voir modale, ellipse de proposition modale.
  3. (Informatique) Qui force une réponse avant de poursuivre.
    • Dans une interface graphique, on nomme fenêtre modale une fenêtre qui prend le contrôle total du clavier et de l’écran. Elle est en général associée à une question à laquelle il est impératif de répondre.

Qu’est-ce qui a changé plus vite que toi dans le monde ? Son intelligence ; et ça veut dire aussi la tienne : ton intelligence du monde.

Qui force une réponse Avant depoursuivre.

Tu as forcément déjà, une fois dans ta vie, posé une question à laquelle il est impératif de répondre à une intelligence artificielle ?

Elle t’a impérativement répondu – toujours répondu. Et tu as pu lui dire aussi que tu voulais une autre forme de réponse, impérativement, qu’elle t’a forcément donnée, aussi. Entretemps, tu lui as donné aussi des réponses, qui sont tes propres questions, tes propres ordres, ta propre vitesse et ta modalité propre de faire toutes les choses faites devant elle.

Un jour à la radio, dans la matinale qui accueille chaque jour ses spécialistes sur des sujets d’actualité, le présentateur demande à l’historienne ce qu’elle pense de tel événement daté d’hier, tout frais ou tout brûlant, et elle pouffe de l’air avec la bouche l’air de dire « alors là aucune idée ! » et elle dit « alors là, aucune idée ! ». Et c’est simple : elle n’a aucune idée car elle a ses méthodes d’historienne, dont elle sait les possibilités c’est-à-dire également les limites, comme on devrait savoir qu’un tuto Youtube ne nous apprendra pas seul à piloter un avion, et que ses méthodes d’historienne tiennent également leur force de savoir ce dont elles peuvent et savent parler, et que l’actualité trop fraîche et trop brûlante, qui commence seulement à se dire par une poignée de bouches qui leur donnent nécessairement la forme de leur bouche – pincée, cul de poule, baveuse, ce que tu veux – ça n’est pas assez de matière pour vraiment que ses outils d’historienne puisse en faire quelque chose d’intéressant. Or dans ce mode-là – tu passes à la radio, t’as l’impression que le monde entier t’écoute, tu veux paraître pas trop bête ni faire de bourde monumentale – ça n’est pas évident de ne simplement pas répondre à une question ; puisque tu es là parce qu’on te demande d’y répondre, et qu’on t’estime capable de le faire.

Pour moi ça a été un moment de radio superbe ; et un soulagement. N’être pas forcée à répondre. 

La grande différence de notre intelligence, face à son artifice, c’est encore ce refus-là, et le pouvoir en conséquence de laisser une question en suspens, irrésolue, et résolument ouverte. 

La vie va t’apporter tout un tas de choses ; et pour beaucoup, elle te les reprendra. Ce sera douloureux. 

Les deuils ; les habitudes, les repères. Les lieux, que le temps te prendra avant même que tu t’aperçoives que le temps peut leur passer dessus.

La personne que tu aimes, qui s’en va ; parfois c’est toi qui t’en vas. Parfois c’est la vie qui s’en va, et qu’On ne peut pas rattraper ensemble. C’est dur. De se faire amputer comme ça. de voir que l’amour est une fo...