Dans une chambre, deux langues s’auscultent et se défient. Ce dialogue des amants rend le silence caduc, mort à l’appauvrissement du sens, gloire à ce qui en chacun de nous frémit. Il faut sauver l’impression très amoureuse d’être l’origine de l’univers. Tout est à remplir, tout est à reprendre dans ce « désert immense » qu’est devenu notre monde. Des mots que l’on malaxe, des sensations versifiées, quelques lèvres saliveuses qui sifflent et gémissent. L’amour, le cul, c’est la littérature : une certaine manière d’être en vie.
Bienvenue dans le Dimanche Rose avec Ezra Ferrell.
Je me souviens d’elle. Devant chaque mouvement de destin se dresse un horizon d’incertitude. Un jour, alors, on rencontre un horizon avec des jambes et des mains, qui parle, qui respire, qui aime. Un horizon à contempler et à apprivoiser aussi vaste que le large. Elsa. J’ai tout de suite voulu mettre mon horizon à disposition pour elle. Pour les multiplier à deux. Pour voir se créer une cartographie aussi immense que l’univers visible, avec un tas d’îlots improbables, de grèves isolées, de criques pour nudisme où l’on irait se baigner et découvrir nos corps nus dans le sable. Pour voyager dans le paysage toutes les heures du jour et de la nuit, sans songer à sortir de cette barque fantaisiste, sous ou sur les draps, dans ce lit défait par cette infatigable recherche de plaisir. Nous, oiseaux nus sur notre lit-perchoir, île d’un naufrage volontaire, isolée des temps du monde à faire l’amour, sans compter ni la faim ni les heures.
Disposés en cuillère, nos jambes enlacées, ma main gauche qui repose sur son bassin, Elsa se retourne pour m’embrasser avec son petit bec d’oiseau. Elle me picore les lèvres pour voir si l’animal que je suis est comestible, si l’animal que je suis est disposé à ses envies matinales. Je fais des sons de bête fatiguée à chaque fois qu’elle me picore. Comme si je m’étais retrouvé échoué sur son lit et qu’elle essayait de savoir si j’étais mort ou vivant. Elle commence à me retourner sur le dos pour voir s’il y a une quelconque volonté de vie qui s’exprime en moi. Mais moi, je ne fais rien. Rien du tout. Moi, ça me plaît, de me faire rouler dans les draps. Alors, une fois sur le dos. Elle commence à me picorer le cou. Et je continue à m’exprimer avec mes petits sons d’homme à moitié endormi. Puis elle continue son chemin vers mes tétons qu’elle mordille avec ses dents. Je fais l’indifférent. Faire l’indifférent, c’est ça qui la tue – qui l’excite au plus haut point. Surtout que je sais qu’elle aime ça, prendre possession de l’espace, faire ses marques, sans qu’on la perturbe dans ses petites affaires, et provoquer ma peau jusqu’au moment fatidique où je ne suis plus capable d’indifférence : moment où elle gagne. Elle adore gagner. Donc, après mes tétons, c’est la zone du nombril qui est furieusement mise à mal. Zone tampon où il devient difficile de cacher sa fébrilité, car on devine maintenant comment le jeu va terminer, comment il se termine toujours, d’ailleurs. Et, de ma position soumise à ses envies, c’est là que je décide de rentrer dans une phase mutique pour qu’aucune sorte de sonorités ne lui laisse croire qu’elle a gagné, surtout ne pas lui laisser croire un seul instant qu’elle a réussi à réveiller, à faire renaître et moi, et mon désir de l’entendre réveiller tous les silences.
Elle fait le tour de son encolure, encore et encore, dans une direction puis dans l’autre. Ma respiration s’accélère et mes jambes gigotent. Mon corps commence à se tordre. Je sais que plus je me contorsionne et plus elle accélère, avec de brusques effets de sussions qui exorcisent ma passivité. Et, au moment où je lève ma tête pour ouvrir les yeux et la regarder comme un hibou transit de plaisirs, elle s’arrête brusquement, me sourit avec des yeux pleins de malices, pour me dire : « S’il-te-plaît, fais-moi l’amour. » Alors elle saute se replacer près de de moi sur son côté droit, et fait des mouvements de bassins jusqu’à ce que je daigne l’honorer de mon dard.
— C’est étrange, après l’amour, ta transpiration a une légère odeur de cannabis, me dit-elle, sa tête reposée dans le creux de mon cou.
— Parce que je suis fumée qui n’attend que tes lèvres.
— Je t’ai connu plus inspiré.
— Oui. Faut que j’arrête. L’inspiration érotique est parasitaire dans un monde allergique au pouvoir de la langue.
— Non, au contraire ! C’est ce qui permet de remettre de la sensibilité là où il n’y a plus que du trash, de l’orgie, des gens qui se baisent tout en se haïssant.
Elsa me caresse le torse, je sens ses petits ongles sur ma peau qui vont et viennent, s’arrêtent, bifurquent, sur mon ventre.
— Il faut remettre de l’érotique là où il n’y a plus qu’un immense désert entre les gens et les mots, dit-elle.
— Les gens et leur corps.
— Les gens et leur jouissance !
D’un coup elle se redresse au-dessus de moi et me regarde avec ses grands yeux bleus qui me fixent, et ses longues tresses me chatouillent le visage.
— Qu’est-ce qu’on attend alors ? Toi tu t’occupes des mots et moi je m’occupe de ton corps.
Sa main saisit mon sexe et elle me glisse dans l’oreille : « J’ai envie de t’attacher. »
Flèche
Des désirs
À la cible mortelle
Ta langue défie mon relief
En arme du plaisir, car,
Par la terre allaitée
De tourments,
Émerge la force raide
Ivre de bouche ouverte ;
Alors seulement après
Gorgées
Et tribulations
Ton œuvre taillée sur ma
Chair, pourra porter le nom :
« Hymne des volcans cracheurs de pollens »
Elsa revient avec un plat rempli de raisins verts.
— J’ai toujours eu envie de faire ça. Pour moi, plaisir du sexe et plaisir de la bouche, c’est lié. On se remplit de quelque chose qui n’est pas soi, pour le faire devenir soi, me dit-elle en me servant un grain de raisin et en me l’enfonçant dans la bouche avec son index, pour le retirer tout en délicatesse. Le sexe, c’est comme le sucre. Plus j’en mange et plus j’en ai envie.
Je ne parle plus. Je suis comme un observateur qui regarde ce qui se joue devant moi, ou plutôt avec moi.
— J’aime te voir comme ça. Tu ne dis plus rien, les bras attachés, et moi je peux te prendre comme j’en ai envie. Et quand j’en aurai fini de toi, quand je t’aurai entièrement vidé, ta verge sera bleue comme une orange.
Je me livre à ses fantasmes sur un plateau d’argent. Je me dépouille de tout pour la satisfaire. Qu’elle m’apprenne son langage.
Fais-moi penser ce que tu penses,
Fais-moi sentir ce que tu sens,
Fais-moi saigner tes plaies ;
Car le jour est dupé
De pensées roses,
Je rêve de Violence,
Velours de cordes
Sur nos carnes
Luisantes
Elsa met un raisin dans sa bouche et m’embrasse, en le faisant passer dans la mienne. Alors avec ma langue je le replace dans la sienne. S’ensuit que le raisin passe d’une bouche à l’autre, et met en alerte toutes les nervures de ma peau. Aussi, je pousse le bout de ma langue jusqu’à son palais, où elle pousse un soupir d’excitation. J’éclate le raisin avec mes dents et la saveur acidulée se répand sur nos lèvres, qui saigne en petites gouttelettes sur mon cou, qu’elle lèche vigoureusement, pour ne pas perdre une seule miette du liquide.
Elle se lève subitement pour mettre de la musique.
Quand elle revient Elsa entre mon sexe dans le sien.
— Tu sens ça ? L’accueil que je te réserve ? Cet emboîtement parfait ? Tes yeux me disent tout ce que tu aimes. Ton corps est électrique, je sens l’énergie qui circule de toi à moi comme un flux de lumière. J’ai envie de pleurer. Est-ce que tu m’autorises à pleurer ?
Je la regarde tremblant de plaisir mais je ne lui réponds pas. Elle me mord les bras avec un peu de violence mais je n’ai d’yeux que pour la blancheur enneigée de ses seins. Elle me mord encore un peu plus fort au niveau des flancs. Je peux voir la trace visible de ses dents encore sur ma peau.
— Autorise-moi, s’il-te-plaît, autorise-moi, dit-elle, en me suppliant.
Elle m’embrasse, et m’arrache presque la lèvre inférieure. Je pousse un cri de douleur. Je crois même saigner. Mais je me tais, encore. Toujours. Alors, elle recommence, s’en prend à moi, et plisse et tord ma peau avec ses mains. Je ne sais si c’est vraiment une douleur que j’éprouve ou bien de l’excitation ou bien un étrange mélange des deux.
— Pourquoi tu me fais ça ? Pourquoi tu ne dis plus rien ? relance-t-elle, en même temps qu’elle augmente la fréquence de ses coups de bassins et donc aussi la montée fatale de l’orgasme.
Je ne sais même plus ce que je dois lui autoriser.
— Pitié. Pitié. Pitié. Autorise-moi.
Elle me mord le cou, je sens ma jugulaire entre ses dents. Si elle le voulait, elle serait capable de la croquer et de l’ouvrir.
— Oui. Je t’autorise.
Alors elle se cambre face à moi et pose ses mains sur mes cuisses, en accélérant frénétiquement la cadence, et j’ouvre ma bouche béatement et je ne contrôle plus rien de ce qu’éprouve mon corps. Elle s’offre d’un cri strident au même instant où je sens le climax venir : d’un coup s’échappe de moi toute mon ardeur en courte phases de chocs électriques, alors que son corps se fige comme une statue de marbre pendant un temps qui semble si long, avant de retomber se fracasser sur mon torse. Puis s’érige un silence vaporeux comme le drapeau blanc de la paix, ma volonté se dissipe par tâche sur la surface des draps, et la sueur mêlée et nos liquides savonneux et nos cœurs plombant dans la poitrine se diluent ensemble dans un paysage arrêté. J’entends alors de petits sanglots retentir sous sa blondeur.
— Pourquoi tu pleures ? dis-je en la regardant, intrigué.
Elle me détache, mes mains sont un peu engourdies.
— Pourquoi tu pleures ? répété-je.
— Je pleure pour la beauté.
— Pour la beauté de quoi ? Du moment ?
— Pas seulement. Aussi je pleure pour nos âmes qui se touchent. Pour la lumière qui se dégage de tout ça. Je sens quelque chose de plus grand que nous, qui nous visite quand on s’aime. Et ça, quand je le sens, ça me fait pleurer, pas de tristesse, mais de joie. Je sens mon cœur si grand et si ouvert pendant l’amour, que j’ai besoin de partager tout cet orage qui passe en moi.
Elle me regarde avec ses yeux humides, nos têtes partagent le même oreiller, nos nez se frôlant à peine.
— Peut-être que tu te fiches de ce que je pense. Ou tu te dis que je parle trop.
— Non, j’aime t’écouter. Tu m’inspires et j’ai envie d’écrire.
— Ah oui ? Vraiment ? Même si ce que je raconte c’est n’importe quoi ?
— J’ai appris à me méfier de la vérité, de celle qui est racontée aux journaux, à la télé. Aujourd’hui, je préfère la sincérité : ce que dit quelqu’un qui sait qu’il ne sera pas jugé. Ça c’est beau. Je ne peux rien dire sur l’existence ou non de l’âme, mais ce qui m’intéresse c’est ce que ça fait que d’y croire. Ça c’est très concret, et c’est là qu’on s’ouvre à l’infini de l’expérience humaine.
— J’aime ton cerveau. Ta pensée. Je voudrais lécher tes pensées. Je veux te lécher de partout, partout. Je n’en ai jamais assez de toi, dit-elle dans une grande expiration pleine de sensualité. Je veux me noyer dans tes yeux, et que personne ne me sauve. Avec tes caresses, putain… Fais ce que tu veux de moi. S’il-te-plaît, domine-moi… souffle-t-elle avec un ton de voix comme une supplication sacerdotale, aussi pudique qu’une enfant qui viendrait de dire un gros mot, et avec ce regard qui donnerait envie de vider la baignoire du temps remplie de larmes pour y couler un nouveau bain, un bain de bulles roses, pour nos culs nus.
Orbes bleus aux rayons pénétrants
Traversent mon corps
Comme
Autant
De lames qui tuent ;
Lèvres conquête sur ta frontière,
À glisser vers l’aurore
De tes cuisses
Ma lague baptisée
Par l’eau mystique
Des nymphes
— Dis-moi ce que ça fait, quand je presse ma main autour de ton cou ?
— Je sens que tu me domines, et je sens de l’intensité. Et aussi que tu me protèges, alors même que tu me serres. Je sais c’est paradoxal. Mais c’est étrange de mettre des mots là-dessus, non ?
— Oui, mais j’essaie de comprendre. C’est paradoxal peut-être parce que c’est ici qu’est demandé le consentement de nos parties sauvages ?
— Peut-être, et donc faire l’amour, le vrai, pas la baise, c’est concilier le sauvage, le spirituel et le consentement. La belle histoire.
— Consentez-vous alors, madame, à ce que j’use ma langue entre vos cuisses ? dis-je d’un ton solennel.
— Ne me reposez jamais cette question monsieur, elle fait offense au désir toujours pressant que j’ai pour vous.
De toute ma tendresse, je commence la longue descente vers son crépuscule alangui. Chemin faisant sur ses vallées, je fais s’effondrer, parfois, quelques morceaux de plaisirs quand mes crocs rencontrent ses seins. J’exerce ma langue telle une lance sur son nombril, comme pour répéter le geste fatal qui fera tressaillir sa voix. Je pose ma bouche sur l’un puis sur l’autre des deux recoins de ses cuisses que sépare la porte du rêve, et lui donne à voir toute la force ravageuse du « presque ». Alors sa respiration devient bruyante, brutale, brûlante. Puis je bois, à grande lampée, la source qui gît à la porte de son temple, et sens son corps s’ouvrir comme un pétale, une éclosion de printemps aux reflets bleu vif du myosotis. Et j’aperçois, sur son visage qui se crispe et s’illumine tout à la fois, percer le point du jour. Alors elle pousse ce gémissement qui excite l’immeuble et tout Paris, où la ferraille turgescente de la grande tour résonne avec les vives secousses de son corps exalté ; et l’univers est un grand organe sexuel concave comme la vulve d’une femme qui jouit en faisant fondre les étoiles ; et tout est recouvert d’une odeur spermale qui succède à l’orgie bouillonnante des premiers instants du monde.
Éclipse-moi, assoiffé, dans ton refuge ;
Je veux entendre
La Terre ébranlée
Par tes abois
Ruisselants,
Tes embruns
Hurleurs,
De Joie
Soumise
Et pure
— Te voir qui me regarde, ta tête entre mes cuisses, me fait sentir tellement femme, dit-elle, épuisée.
— Te regarder jouir c’est l’évidence clandestine que le beau de ce monde existe encore.
— Tu t’es assis sur les quelques morceaux résiduels du romantisme, dit-moi.
— En réalité, mon côté romantique tient bien plus de cette intuition malade qui ne me quitte jamais : rien n’est assez.
— Mais la vie fait qu’on ne peut être en incendie perpétuel, dit-elle posément, avec l’éclat d’une sage veilleuse sur le monde des hommes. Moi-même, je me sens assommée de tout ce que j’ai besoin de vivre.
J’ai une légère douleur à la mâchoire que je n’arrive pas à dissimuler.
— Tu as mal ?
— Non ça va, c’est bizarre, je crois que j’ai une crampe de langue.
— Tu te donnes à fond, vraiment, dit-elle avec ses yeux succombant aux affres du plaisir. Si tu travailles comme ça, tu vas devenir le nouveau David Bowie du cunni.
Elle s’esclaffe.
— Qu’est-ce qu’il avait de spécial Bowie ?
— Bah, il paraît que c’était un maître hors pair du cunni. Il y en a même qui disent que c’est peut-être ce qui l’a tué, dit-elle avec une pointe d’ironie.
— Comment ?
— Maladies sexuellement transmissibles, tout ça…
— Quel homme, dis-moi !
— Les belles choses vont en enfer.
J’ouvre un peu ma bouche pour laisser reposer ma langue, comme si j’avais goûté un plat trop chaud.
— Mon petit toutou. Je me sens libre avec toi. Je sens que tu peux tout me faire. Et que je pourrais tout te donner. Je ne veux faire que ça avec toi. Le jour, la nuit. User toute ma peau contre la tienne, comme jamais.
Elsa tire un matelas sur le sol et le place devant le grand miroir de sa chambre. Nue, elle descend langoureusement sur ces genoux pendant que je reste assis sur le fauteuil, et commence à marcher vers moi à quatre pattes.
Des roulements de bassins, des pliés terribles qui tendent sa croupe jusqu’aux extrémités du sortilège. Fascination pour ses tortillements de danseuse, ses formes aguerries au rythme de la musique. Bête alléchée, humiliée, je me sens esclave terrible de ses charmes. Comme un lapin chassé par l’hermine, je me rends compte trop tard qu’elle a déjà cerné le périmètre devant mes cuisses, qu’elle entrouvre avec une certaine poigne, pour me regarder, d’abord.
Regard tigre sur ma nudité extrême,
Contemple ma raideur
Exténuée,
À frotter mon frein
D’une mortelle urgence,
De saccade en saccade
Jusqu’à la douleur,
À faire jaillir
La candeur d’une
Lignée
Assise sur mon torse, ses fesses tournées vers mon visage, elle visse et dévisse mon membre qui peine à tenir la cadence. Je n’en peux plus. Et bientôt c’est un roseau parfaitement amolli. Mais elle n’en démord pas pour autant, avec toute l’envie qui la caractérise. « S’il-te-plaît, ma petite trompe d’éléphant, fais-toi belle pour moi ! »
Je regarde la scène avec un certain détachement, je crois même que je pense à autre chose. Au genre de nourriture que j’aimerais manger. Au genre d’histoire que j’aimerais écrire. Comme par exemple, La vie sentimentale d’un pacemaker, titre d’une nouvelle qui parlerait d’un couple de sexagénaire qui s’initierait à l’échangisme. Et un jour, pendant un rut trop violent entre deux paires de fesses, le cœur du vieux s’éteindrait comme une bougie sur laquelle on souffle, tellement rapide que le pacemaker n’y pourrait rien. Et sa vie se terminerait dans l’odeur de sueur et de stupre, au milieu d’une partouze, tant et si bien qu’il aurait encore le membre en érection, et que les gens ne se rendraient pas immédiatement compte qu’ils sont en train de s’emmancher sur un cadavre.
— Y a quelque chose qui ne va pas ? demande Elsa, en me sortant de mes pensées.
— Je crois que j’ai faim, dis-je.
— C’est pour ça que tu ne peux plus « faire de ta trompette » ? demande-t-elle sur un ton graveleux.
— Avec l’orchestre ?
—Bouge pas, je vais te faire soliste.
Et comme s’il fallait empêcher le voisinage d’écouter mon brâme, elle se saisit brusquement d’un oreiller qu’elle me plaque sur le visage, et utilise son pied droit pour le maintenir sur moi pour garder ses deux mains libres. Et commence à presser fort mon périnée, pour ensuite caresser mon gland avec une attention nouvelle. Je pousse des miaulements de plaisirs. Je sens que ça peut repartir.
— Tu vois quand tu veux ! dit-elle, le démon au corps.
Je lui marmonne quelque chose d’inaudible sous l’oreiller. Soudain, elle l’enlève pour se remettre sur moi. Tout semble couler entre ses cuisses. Elle me tourne la tête pour que je regarde le miroir. Michel-Ange ne disposait que des charmes de son imagination, mais par plaisir pervers de l’empourprer dans sa tombe jusqu’à la gaule, nous nous disposons comme des anges fornicateurs dans le format pratique de la nudité: ses bras que je bloque dans son dos en harponnant ses coudes avec mon bras droit et les doigts de ma main gauche enfoncés dans sa bouche, tandis que je la retourne face à la glace – tellement proche que son haleine fait de la buée – à regarder l’un l’autre jaillir de nos yeux les cris d’un soleil en pleine irruption ; nos chairs nues s’abîment. Puis, de son corps dans un ultime cambrement avec ses yeux qui roulent de plaisirs, sa brèche de femme soudain gicle d’un liquide inodore qui coule de joie tremblante sur le sol, alors que le miroir s’ébranle d’une caresse trop violente. La buée se dissipe pour laisser voir sur le sol nos deux corps de bêtes encore encastrées, mais anéanties.
Ce dernier élan de cœurs m’a intégralement vidé. Je sens mon nombril ...