ET SI LE GÂCHIS SENTAIT MEILLEUR QUE GUCCI ?

6 août

— Je suis victime du subconscient de Marguerite Duras, suis-je train de me répéter en boucle, dans le train, direction Nevers (l’immortelle ligne Paris – Clermont-Ferrand). 

Soudain douteux, je vérifie sur Google : non, il n’y a pas d’association d’aide aux victimes du subconscient de Marguerite Duras. Il y a bien une association Marguerite Duras, à Duras (of course), Lot-et-Garonne, 1 206 habitants. Densité : 60 habitants au km2. Une densité raisonnable, si l’on compare à celle de Paname (20 054 hab./km2). Oui, j’aime parler de densité.

Mais je vais trop vite, il faudrait rembobiner.

Rembobinons donc. Revenons en arrière.

*

5 août

Lauréat d’une bourse de résidence d’écriture à Nevers (oui les écrivains font la manche), le 5 août, j’ai reçu un mail inquiétant de mon hôte (la médiathèque de Nevers), via son chef, qui m’envoyait l’adresse du logement proposé (rue du Quai de Médine à Nevers), m’indiquant qu’il venait de récupérer les clefs, qu’il pourrait m’y conduire à mon arrivée à la gare et que, non, il n’y avait pas de machine à laver ; ni de shampoing réparateur pour cheveux décolorés. Il terminait sa missive par : « Ton logement est un peu austère mais il est fonctionnel et propice à l’écriture… ».

Au mot « austère », j’ai paniqué. Arrivé à « fonctionnel », j’ai été saisi d’effroi. Les points de suspension précédant « propice à l’écriture » m’ont fait vriller. J’ai pris un whisky et un Tranxène. J’ai vérifié l’étymologie du mot austère : emprunté au latin austerus, « âpre au goût, sévère, grave », lui-même issu du grec austērós, ἀυστηρός, signifiant « qui rend la langue sèche ».

J’ai pensé : « Mais, oui, bien sûr, c’est ça : à la mode, mantra des temps modernes, le mot austère assèche la langue ».

Je me suis demandé si mon cerveau n’était pas en train de s’assécher lui aussi. J’ai paniqué bis. Doublement. X 100. Pour désarmer ma terreur, j’ai appelé ma libraire (qui me fait office de psy). Elle a essayé, tant que mal, de me convaincre que l’austérité avait son charme, a évoqué, citant Barbusse, la « beauté austère de la solitude ». Terre à terre (dans ma terreur), je bloquais, je ne cessais de lui répéter que si un médiathécaire en chef, disait que c’était « un peu austère », c’est que vraiment, ça devait être super austère. Il euphémisait grave.

Dois-je préciser que, paranoïaque, insomniaque et hypocondriaque, combinant ces trois qualités indispensables (pour un écrivain), je suis facile à la panique ?

Face à mon ridicule désarroi, elle a soupiré, m’a conseillé (dans le désordre) de dormir, de faire des exercices (sophrologie, fléchettes ou elle ne savait quoi), de la laisser tranquille. Elle a raccroché. J’ai eu une idée : vérifier (faut toujours vérifier avant de paniquer). Reprenant whisky et vitamine C, je me suis précipité sur Google Maps pour disséquer la localisation précise de mon futur hébergement nivernais. En sueur, j’ai surfé sur le site de cartographie virtuelle, faisant nombre d’allers-retours désespérés et effarés Rue Quai de Médine à Nevers.

Mon logement avait tout l’air d’être situé entre une cimenterie (béton VICAT) et un camp de gens du voyage, près d’une forêt (pire : dans une forêt ?), au bord de la Loire, au bout d’un chemin de gravier fréquenté par une caravane et des estafettes blanches, louches au possible, à l’extrémité sud de Nevers : en ZONE INONDABLE. Mais qui voulait ma peau, à Nevers ? Qui avait commandité ce lieu ?

Pour garder raison, je me suis résumé la situation : j’allais donc loger au milieu de nulle part, au cœur d’un no man’s land, en pleine canicule. Formuler les faits m’a rassuré (le terme « no man’s land » a l’effet d’un bonbon relaxant pour moi). Mais pas tant que ça. 

J’ai pris mon courage à deux mains. J’ai envoyé un mail à mon médiathécaire de Nevers pour l’informer que, pour des raisons personnelles, un imprévu incongru (j’ai hésité à invoquer une rage de dent), j’étais obligé de repousser mon arrivée d’un jour. (Une rage de sens aurait pu aussi faire l’affaire ; « victime d’une rage de sens, je me vois contraint de… »)

Un sas d’un jour me semblait nécessaire pour me préparer mentalement et physiquement à Nevers, à mon logement louche. Un jour supplémentaire pour refroidir mes idées, me calmer, respirer, me rendre à la raison (un pays inconnu).

Du coup, je suis direct allé voir Mathias Malzieu (mon autre bonbon relaxant). Il habite sur une péniche à Issy. Je me suis improvisé capitaine et on a fait du paddle sur la Seine autour de l’île Saint-Germain, qui, de 1944 à 1967, était une base militaire extraterritoriale américaine abritant unités de soutien technique et de renseignement. Comme un signe ? Mais de quoi ?