À six heures du matin on a repéré la forme de ton corps droit comme un i, isolé  devant la musique, on a glissé Winston bleue entre tes doigts comme un mot de  passe à travers les murs de basses, on t’a amené dehors sous la neige, la  mécanique d’un zippo sous ton nez, tu reconnais l’odeur du gaz, on t’a fait parler  de toi sans t’écouter, tu bois trop, tu recraches des répliques sans goûts, des  remarques sans grâce, la cigarette se consume, tu laisses le piège se refermer à un rythme régulier, on s’est rapproché de toi en te faisant reculer, on t’a laissé  l’espace de respirer, tu aperçois les pupilles noires dissimulées sous le reflet  d’une paire de lunettes teintées, on a fait peser une masse épaisse sur ta masse creuse, on a trempé des lèvres humides contre tes lèvres de glace, on a tourné une langue aride autour de ta langue grasse.

Tu décadenasses.  

On t’a fait marcher à côté de ton vélo orange, à ta droite, le soupir d’une rivière  boueuse qui se jette dans le Rhône impassible, on ne t’a plus posé de questions,  on t’a indiqué la route avec les pieds, tu la reconnais, tu la prends trois fois par  semaine depuis quinze ans pour aller au foot, on a tracé des taches noires dans la neige immaculée, tu te tais, tu n’oses pas prononcer le mot vierge, tu fais attention à marcher dans ses pas, tu ne sais pas faire la différence entre la neige et le ciment frais. Dans ton équipe on t’a fait comprendre que tu ne peux pas dire vierge, on t’a entrainé à dire puceau, on t’a réduit à ça : le dernier puceau du vestiaire, vierge c’est pour les femmes, même avant d’avoir baisé tu dois déjà  choisir ton camp, on a remis en question ta place dans l’équipe, la taille de ton  sexe, la direction de tes regards sous la douche, on t’a donné des coups aux  entrainements, on t’a crié dessus durant les causeries du coach, on t’a ordonné  d’envisager le sexe comme un match, que pour gagner tu dois faire entrer le  ballon dans la cage, peu importe de quelle manière, on t’a conseillé de prendre la première qui vient, d’essuyer la cicatrice de ton pucelage sur la peau d’une autre.  

Tu cadenasses.  

On a saisi un code pour débloquer une porte en verre, on a pressé un bouton pour actionner une porte automatique en acier, on a tourné une clef pour ouvrir une por...