Ce texte de Zoé Besmond de Senneville explore le chaos des pensées internes et la lutte incessante pour aligner l’extérieur avec ce qui bouillonne à l’intérieur. Sa prose lyrique rappelle les incantations hypnotisantes d’Antonin Artaud.

À  l’intérieur de ton corps je crois que t’as des trucs tu crois que t’as trop de trucs c’est indécent emmêlé tu t’en sors pas tu voudrais tout sortir faire le ménage c’est impossible tu n’as pas d’aspirateur assez puissant tu voudrais faire table rase tabula rasa pouvoir repartir de zéro ne plus te questionner constamment 

Sur l’extérieur s’il ressemble à 

L’intérieur 

Si tout est conforme si cela ne se voit pas trop que rien ne l’est dedans 

Tu voudrais tout brosser polir décaper ranger astiquer aspirer repartir du propre enfin une vision claire un nouveau départ —comme le bébé 

Tu te souviens quand t’étais enfant c’était simple 

Cette simplicité-là un regard neuf clair neuf clair neuf clair

Pas d’aspérité 

Et dedans plein de choses des milliards de choses 

S’il vous plait, Dieu

Rendez-moi les choses simples

Déjà le ventre déjà le ventre déjà le ventre

Dans ce ventre ton ventre c’est ton ventre tu es impressionnée par 

Son vivant

Son souffle son quelque chose 

Innommable incontrôlable quelque chose sur lequel 

T’as pas prise le ventre c’est quelque chose 

Immense

Un transat donnez-moi un transat je voudrais me reposer rien regarder les nuages tes yeux regardant les nuages passer dans le ciel se balader se former et se reformer dans un ciel bleu plein de nuages qui passent comme une bande de potes une bande passante une bande de sous-titres mais sans mots à lire plus rien dans la tête plus rien à comprendre là aussi faire le ménage dans cette tête fort sans son

Sans son dans ma tête ta tête le ménage a déjà été fait pour laisser la place à d’autres choses Dieu merci t’as bien commencé à faire le ménage 

Merci sympa de moins en moins de mots dedans ça simplifie les rapports t’en viens à te mettre à faire des grands gestes, assommer les gens au passage

Plus rien plus rien plus rien plus rien

Dieu ! dis et si on continuait un peu ce ménage 

Là-dedans mon corps j’ai encore tellement de choses à nettoyer dans mon corps il y a des bouées de sauvetage des visages d’enfant des peaux d’hommes et de femmes des peaux d’orange mon sexe multiplié par mille il y a des peaux de bananes poils de mon chat de ma chatte jamais épilée et de l’interdiction formelle de me dire quoi que ce soit à ce sujet Dieu personne ne me parle de ma chatte tu m’entends

Dans mon corps aussi du pain beaucoup de pain des brocolis en ce moment je ne mange que ça et le visage de cet homme qui clignote grand trop grand 

Le visage s’efface le visage sort de sa zone d’effacement 

Clignote, se charge et se décharge

Le visage devrait s’en aller il ne s’en va pas

Le visage ne s’en va pas il est là dans ton corps ce visage est ton corps ce visage est dans ton corps le visage est ineffaçable dans sa nature profonde on ne fait pas disparaitre comme cela un visage d’homme dans un corps de toi ton corps femme ton corps bête ton corps ventre

On ne fait pas disparaitre un visage d’un ventre

Dieu ! Nettoyez-moi

Elle lève les bras au ciel

Orage. Éclairs jaillissent

Pluie douce

Elle tombe

Elle tombe elle

Son corps tombe

S’effondre

On voit autour d’elle des mots répandus par terre sur le gazon elle les voit en se réveillant elle les ramasse elle forme des ronds avec les

Elle retrouve les

Elle reprend son

Le visage

Son visage

Mon visage elle dit ton visage il n’a pas

Elle dit je crois que ton visage il est maintenant il est là

Elle ramasse le mot ventre

Elle tombe dessus le mot visage le mot amour le mot ancêtre le mot Dieu

Elle dit mon ventre ton ventre

Merde

—Les mots dedans dans ton ventre comme joyau je ne sais pas comment les—

Merde

Dieu

Elle 

Tu

Je 

Elle 

Dieu. Merde

  • © Portrait de Zoé Besmond de Senneville par Jean Argentique