Anaïs Horn, Beloved Hands 1, 3, 5 (installation view), 2021, Lambda C-prints, 30x40cm each, Kunstdokumentation.com / Anaïs Horn. MLZ ART DEP

Après l’intense semaine dédiée à la peinture le 22 octobre dernier, le Grand Palais Éphémère rouvre ses portes pour Paris Photo, l’événement très attendu du petit monde de la photographie jusqu’à dimanche. Là encore, dans les allées préfabriquées, nous déambulons de galerie en galerie, de pays en pays et nous sentons alors la tendance photographique. Petit tour, pour ne pas dire panorama.

La photographie : la sœur ennemie de la peinture ?

Bornhauser Marguerite, Untitled, Étoile Rétine, 2021, Lambda print on High Reflection Paper – Fujiflex, 150 x 98 cm, Marguerite Bornhauser + Carlos Carvalho Arte Contemporânea. CARLOS CARVALHO

La photographie est, somme toute, un art récent avec le cinéma. Dans notre société contemporaine, vissés à nos smartphones / appareil photographique, la photographie traditionnelle arrive à s’imposer malgré tout, car nous ne sommes pas dupes, le dernier Iphone ne parviendra pas à égaler la qualité d’un tirage argentique ou d’un bon appareil numérique. Quality and technique first !

Paris Photo prouve que la photographie est un art bien ancrée et qu’il est possible, toujours, d’avancer plus loin dans la technique et la recherche artistique. Nous fêtons cette année le 25e anniversaire de Paris Photo avec des photographes de renom représentés par leur galerie et parrainé par l’artiste pluridisciplinaire Rossy de Palma qui livre au visiteur ses coups de cœur photographiques qui vont du très célèbre Brassaï à Bernard Descamps en passant par les photos de mode d’Herb Ritts ou encore des inspirations picturales de Mircea Cantor.

Cependant, si le salon montre la puissance de la photographie et toute la vivacité du monde de la photo, je sens que demeure une certaine incompréhension ou du moins une timidité du public vis à vis de la photographie, comme s’il s’agissait d’un art mineur, parent pauvre de la peinture, alors qu’il n’en est rien ! Sans doute, y a-t-il là un certain snobisme envers la technologie par rapport à la dimension plus artisanale de la peinture et de la sculpture dans lesquelles l’artiste est en corps à corps avec la matière. Ici, le medium est un boîtier, plus ou moins gros, du petit Minolta à la chambre noire ; mais il s’agit d’un boîtier d’une immense complexité et il s’agit pour l’artiste de le dompter, de le comprendre et surtout de lire la lumière. Les photographes sont les conteurs de la lumière, ils la saisissent, s’en emparent et parle avec elle.

Alors, non, la photographie n’est pas un art inférieur à la peinture, ni la sœur ennemie de la peinture, elle est son égale avec ses variations de lumière, de textures et de matières. En photographie, on parle aussi pigments, pérennité, composition. En somme, la technique est méconnue. Ce n’est pas Kodak You press the button, We do the rest !

La gloire du Noir & Blanc ?

Alexandre Dufaye, San Servolo, 2018, Photographie – Encre pigmentaire Ultrachromes HDR, tirage réalisé sur papier Hahnemuhle Photo Rag Ultrasmooth 305g, 42 x 30 cm, © Alexandre Dufaye. CATHERINE ISSERT

La photographie argentique ainsi que les noirs et blancs restent dans le cœur des galeristes et des collectionneurs. Y aurait-il une tendresse que la couleur n’a pas ? Ou plutôt un mystère ? Comme si le noir et blanc apportait à l’image ce je-ne-sais-quoi de précieux qui la rend photographie, objet de collection et de contemplation.

Si l’on retrouve les grands comme Brassaï, Man Ray, Kertesz ou encore Lartigue, la scène contemporaine est tout aussi remarquable en terme de traitement du noir et blanc et je pense ainsi à quelques photographes qui m’ont marqué comme Alexandre Dufaye représenté par la galerie Catherine Issert à Saint-Paul de Vence qui nous donne à voir une série portant sur l’apparition et la disparition à travers une technique qui pourrait rappeler le sfumato en peinture. Comme un voile sur le sujet, la photographie d’Alexandre Dufaye interroge la perception et la frontière poreuse entre le réel et le surréel.

On ne s’imagine pas les variations possibles du noir et blanc en photographie – Pierre Soulages nous l’a montré en peinture – et sa profondeur. D’un noir estompé dans les paysages de Jungjun Leee (Galerie Camera Obscura) au noir très profond de Man Ray ou de Sarah Imloul, le salon est l’occasion d’une exploration des nuances du noir et blanc, de l’historique au très contemporain.

Néanmoins, la couleur n’est pas en reste ! Sur tout le salon, je fus étonné de ne voir qu’un photographe-peintre contemporain, Joannes Brus – on aura vu des photographies peintes, mais de la fin du XIXe siècle – à la galerie Judith Andreae de Bonn qui expose de très grands formats de natures mortes dont les couleurs, presque effacées, nous informent du passage du temps.

Là encore, le traitement de la couleur est différent. Des couleurs des polaroïds monumentaux de l’incroyable Cathleen Naundorf aux couleurs très saturées d’un Martin Paar ou d’un Tom Wood, l’éventail est large. Si le noir et blanc inspire une même émotion d’élégance et de mystère, la couleur est, selon moi, plus clivante. Mystère des couleurs de Marguerite Bornhauser, hypnotique chez Sabrina Ratté, douceur chez Céline Croze, fantomatique chez Léonard Bourgois-Beaulieu… La lumière est multiple et ses variations infinies. Le secret de la photographie réside, en premier lieu, dans la maîtrise de ce prisme qu’est l’appareil qui permet de jouer avec la lumière.

Formes et créations

Comme la peinture, la photographie joue sur les formes et les supports ce qui permet, sans doute, plus d’originalité car le format reste si traditionnel qu’il est toujours intéressant de voir d’autres manières de présenter la photographie.

La photographe japonaise Miho Kajioka joue sur les formats d’objets traditionnels du Japon comme l’éventail ou la stèle funéraire tandis que la galerie Parrota Art Koln expose les formats circulaires de Pidder Auberger. Jean-Charles Rémicourt-Marie de la Galerie Sit Down, lui, nous offre une photographie-objet : une malle – qui n’est pas sans rappeler les malles Vuitton – réalisée par ses soins renferme, comme un objet précieux, un tirage pigmentaire représentant une femme allongée avec deux jetons de casino posés sur les yeux.

Jean-Charles REMICOURT-MARIE, La baraka, 2019, Malle contenant un tirage pigmentaire, 80 x 144 cm, © Jean-Charles Remicourt-Marie courtesy galerie Sit Down.

Outre le format, la photographie elle-même est travaillée. Le collage reste présent dans le paysage photographique, notamment avec Gemma Pepper à la Galerie Esther Woerdehoff qui joue avec les aiguilles, le découpage et la composition directement sur la photographie ancienne. Le travail de la photographie vernaculaire émerge et intrigue de plus en plus. Ainsi, le travail de Marco Lanza et de Chantal Stoman à la Galerie Sit Down fait sens, que ce soit le découpage, la superposition de photographies ancienne ou le tirage sur porcelaine. De la même manière, le travail de Jorge Alberto Cadi à la Galerie Christian Berst Art Brut s’inscrit dans cette veine du palimpseste photographique.

Curiosa

Il n’est pas question d’érotisme dans cette section ! Passé le moment de la déception, je découvre les photographes émergents : 17 issus de 12 pays. Trois ont retenu notre attention dont une fut notre coup de cœur de Paris Photo.

Taca Sui, Stele from Beiyue, 2019, Platinum Print, 40×40, Taca Sui. Chambers

J’arrive en Chine avec Taca Sui de la Galerie Chambers qui nous plonge dans la culture chinoise spirituelle à travers des photographies en noir et blanc somptueuses et mélancoliques.

Elliot & Erick Jiménez, The Grand Odalisque, 2022, Archival photo print, 111.8 x 152.4 cm, Courtesy of Spinello Projects. SPINELLO PROJECTS

Puis, direction Miami à la Galerie Spinello qui présente Elliott & Erick Jimenez, deux photographes de la couleur qui exposaient une grande odalisque, clin d’œil sensuel à la peinture classique.

Anaïs Horn, Untitled from the series Hush… Hush Sweet Charlotte, 2022, inkjet print on mirror mounted in antique frame, 50×70,5cm, Anaïs Horn. MLZ ART DEP

Enfin, notre coup de cœur, celle qui nous a fait rester sur le stand une bonne vingtaine de minutes à discuter avec le galeriste de MLZ Art Dep de Trieste. Les photographies d’Anaïs Horn sont une conversation avec l’intime. Pétries de nostalgie, les séries exposées exploraient différents supports comme le velours sur des tabourets de piano ou encore le miroir, créant des variations de lumière absolument charmantes. Elle interroge le temps, la mémoire et les traces du passé, donnant à voir des expériences sensibles et sensuelles.

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Paris Photo est très dense mais donne un très bel aperçu du paysage photographie contemporain. Les galeries oscillent entre les photographes patrimoniaux ou reconnus et les photographes émergents qui ne sont pas mis à l’écart. En ce sens, la photographie est en bonne santé et a de beaux jours devant elle grâce à la créativité de ces artistes de la lumière.