Wes Anderson, Samuel Beckett, Adieu ma concubine… Devant l’étrangeté de A New Old Play, du chinois Qiu Jiongjiong, il est d’abord tentant de se raccrocher à des branches familières. Mais au fur et à mesure, la poésie de ce film-fleuve nous happe et, guidés par les mésaventures et les souvenirs d’un ancien clown d’opéra, nous nous laissons mener dans l’au-delà. 

Qiu Fu est mort — mais il bouge encore. Accompagné par les amusants dieux Tête de Bœuf et Visage de Cheval, le clown-acteur de l’opéra du Sichuan chemine dans l’au-delà. Passée la première surprise, ce monde souterrain plongé dans la pénombre n’a rien de bien terrifiant. Les trois voyageurs y rencontrent de vieilles connaissances, s’arrêtent boire dans une auberge et jouent au mahjong tandis que l’argent apparaît comme par magie : quelle importance à présent ? Les règles ne sont plus les mêmes. Si l’on rencontre en chemin quelques âmes damnées dont les dossiers administratifs ont été perdus, leur souffrance fait pâle figure face aux souvenirs de Qiu Fu, marqués par la faim, l’abandon et les addictions. Entre réminiscences de la vie sur terre et paradis funèbre, A New Old Play nous fait largement préférer la mort. 

“Le film impressionne par son ingéniosité, ses décors et ses compositions, allant de séquences oniriques au prosaïsme absolu. L’effet ne s’estompe pas : on s’émerveille.”

Le début d’Adieu ma concubine (Chen Kaige, 1992), magnifique fresque de la Chine vue à travers l’opéra traditionnel, frappait d’emblée par la violence infligée aux personnages : la perfection vocale s’atteignait à coups de bâtons, d’amputation digitale, et d’un panel impressionnant de méthodes répressives. Si les élèves de A New Old Play ne sont pas à l’abri de quelques volées de bois vert, la troupe du Néo-Théâtre évolue dans une atmosphère moins délétère, et parfois même familiale. C’est en tout cas là qu’en 1927, en plein cœur de la guerre, le très jeune Qiu Fu trouve refuge. Sans nouvelles de sa mère qu’il ne retrouvera jamais, l’enfant grandit entre disputes pour avoir la meilleure portion de riz et attachement à diverses figures paternelles (le gardien, le commandant, etc). Les trois heures du long-métrage sont moins consacrées à l’opéra – on ne verra d’ailleurs jamais Qiu Fu jouer – qu’à suivre la vie du clown, d’orphelin à père. Peu de chants, de costumes, de répétitions : l’illusion théâtrale se trouve ailleurs.

Film en toc

Derrière les comédiens, des toits de tuile pointus s’élancent à l’...