« Laissez-vous prendre la bonne position pour vous. » vous dirait François Roustang. Installez-vous confortablement comme votre corps vous le réclame. Comment vous sentez-vous ? Vous allez progressivement rompre les amarres qui vous attachent à votre réalité si encombrante parfois. Respirez profondément. Êtes-vous prêts ? Vous allez savoir maintenant que « sauter dans l’inconnu est une des voies de l’éveil de soi » ajoute Bertrand Piccard. Vous allez « changer d’altitude ».
Enthousiasme et youpala
Comme nous sommes enthousiasmés de vous présenter un livre Changer d’altitude du médecin-psychiatre et hypnothérapeute Bertrand Piccard qui est le prolongement d’un article médical de fond qui parut dans l’excellente et exigeante revue Hypnose & Thérapies brèves. Le titre de l’article à l’époque était déjà très évocateur : Doute, hypnose et spiritualité. Une question d’altitude et/ou d’attitude. Un texte consistant par sa teneur et léger par son traitement humoristique où l’auteur partageait déjà avec ses lecteurs avisés la métaphore clairvoyante quand il les mettait d’emblée, avec cet article, en garde contre leur résistance au changement : « (…), et nous nous promenons comme dans un youpala, pour avancer en nous accrochant au cadre et en ne bougeant que les pieds. »
Avertissement au lecteur
Nous sommes prévenus : « C’est le livre du médecin et du psychothérapeute que j’avais envie d’écrire. Pas celui du pilote. » (Pour en savoir plus à propos du pilote, je vous invite à demander à Google qui étanchera votre soif de connaissance.) Ne ressentirons-nous donc aucun vertige sans guide aérien ? Nous sommes rassurés ou déçus, selon que nous sommes ancrés dans nos certitudes, nos habitudes et nos convictions ou que nous sommes en train de nous défaire du sentiment qui nous submerge que « toutes les apparences prendront un caractère hostile » (Matthieu Ricard) si nous renonçons maintenant à chercher quelques solutions pour mieux vivre notre vie. Et pourtant, nous tenons entre nos mains un épais traité de navigation révolutionnaire écrit par un météorologue original qui montre de complexes mais évidentes manœuvres d’approche, d’éloignement, de conduite quant à l’art et la manière de savoir diriger sa vie, de savoir se laisser prendre dans les vents de la vie. « Un ouvrage pratique » comme Bertrand Piccard le définit justement. Nous expérimenterons quand même le vertige que nous fera ressentir l’écrivain en nous accompagnant littérairement à l’aide d’inventions stylistiques telles que des métaphores sidérantes et des paradoxes lumineux nous poussant à accepter au cours de la lecture des changements d’altitude vers le haut en nous ouvrant au monde qui nous entoure et des changements d’altitude vers le bas en nous familiarisant avec une exploration introspective.
Chercheur d’absolu
« Je veux écrire un livre sur la psychologie de la vie et non un traité ésotérique » précise-t-il au cœur de l’ouvrage. Nous découvrons aussi au fur et à mesure de la lecture, le journal de bord d’un chercheur d’absolu. Et si l’expérience d’être vivant consistait à approcher « le merveilleux mystère d’une question sans réponse » sans s’en emparer ? Et si les vents de la vie nous poussaient dans la direction souhaitée par une force que nous pourrions apprendre à connaître puis à apprivoiser plutôt que de chercher à tout prix à lui résister et lui échapper ? Qu’adviendrait-il de nous si nous naviguions avec les vents plutôt que contre ? Quel risque prendrions-nous à devenir le pilote intrépide de notre propre existence ? Pourquoi n’oserions-nous pas prendre le risque qui pourrait nous paraître inacceptable mais qui nous serait profitable d’expérimenter une sensation subite de présence ànous-même ? Avons-nous jamais essayé de vivre avec nous-même ? Accepterions-nous de nous abandonner à notre propre présence ?
Qu’adviendrait-il de nous si nous naviguions avec les vents plutôt que contre ?
Le savanturier
Aurons-nous l’énergie vitale nécessaire pour entreprendre ce voyage d’exploration (cher à Krishnamurti qui encourage à Se libérer du connu) avec Bertrand Piccard qui se baptise lui-même « savanturier » ? Le savant doué de l’esprit expérimental et l’aventurier mû par l’esprit de pionnier. Saurons-nous réagir aux sortes d’injonctions hypnotiques dont l’auteur a pris soin de parsemer le livre et que les éditions Stock ont utilisées pour le lancement commercial de Changer d’altitude ? « Notre peur de perdre le contrôle nous pousse à construire des certitudes, à résister aux changements qui nous sont imposés et à nous battre pour obtenir ce que nous voulons. Cela nous rend-il plus heureux ? » « Pour calmer nos craintes face aux incertitudes de la vie, nous risquons de nous enfermer sans le réaliser dans les ornières de la routine, et nos habitudes ne deviennent que des œillères de plus pour éviter de voir les points d’interrogation qui nous entourent. » « L’aventure extrême, c’est ce qui permet, par le biais d’émotions rarement éprouvées dans la vie quotidienne, d’entrer dans une relation beaucoup plus intime et authentique avec soi-même. » « Nous ne changerons jamais la direction des courants aériens ni celle des vents de la vie, mais nous pouvons à chaque instant changer d’altitude pour nous en libérer et trouver une meilleure trajectoire. » « Envisager le contraire de ce que l’on a toujours appris crée une ouverture d’esprit et nous permet soudain d’augmenter notre liberté de penser. » « Nous avons trop tendance à nous battre pour retrouver un passé semblable plutôt que construire un avenir meilleur. » « On limite d’habitude la foi dans la croyance en Dieu. Je n’ai pas l’impression que ces deux notions doivent être liées. Pour moi, la foi est perception intime que tout ce que nous vivons a un sens et s’inscrit dans un ensemble plus grand qui transcende notre monde de tous les jours. » « Nous avons construit un monde dans lequel l’équilibre psychologique et spirituel compte moins que l’attrait du confort matériel, et où la valeur de l’avoir a éclipsé celle de l’être. ».
Changer d’altitude suggère durant la lecture un état d’harmonie dans lequel « cette impossibilité d’interpréter m’ouvre, moi, à toutes les possibilités de mon existence » (François Roustang).
« Livre-corps »
Le livre Changer d’altitude est un « livre-corps ». Le corps du livre est le corps de Bertrand Piccard, hypnothérapeute et médecin-psychiatre. Le corps de l’écrivain-thérapeute qui déclare : « J’ai adoré écrire ce livre, m’asseoir avec une plume devant un bloc de feuilles et coucher sur le papier les idées que j’accumulais depuis des années. » Le corps de l’auteur qui accompagne le lecteur qui patiente dans un tourbillon paisible à l’intérieur de lui-même. Le corps présent qui innove à partir de sa propre pesanteur naturelle. La pesanteur animale du corps devant la table d’écriture ou sur le fauteuil ou le divan, assis ou debout, qui connaîtra l’expérience de l’apesanteur en sortant de ses limites et en produisant une vitalité nouvelle. Cette synergie positive entre l’auteur et le lecteur qui pourra aboutir à faire l’expérience d’un phénomène très étrange comme celui de la synchronicité. Pour l’anecdote, je projetai de me plonger dans la lecture du livre Changer d’altitude alors que je lisais Dans le sens de la vie (co-écrit par Jenny Humbert et Claude Desarzens). Je refermai une nuit cet ouvrage à la page 136 en ayant pris ma décision quant à ma prochaine lecture qui suivrait, lorsque j’aurais terminé cette lecture en cours. Je le rouvris au petit matin à la page 137 et quelle ne fut pas ma surprise de lire que les auteurs faisaient référence à une interview de Bertrand Piccard. Comme si les co-auteurs du livre Dans le sens de la vie m’avaient donné le feu vert pour ma découverte du livre Changer d’altitude !
Le corps présent qui innove à partir de sa propre pesanteur naturelle.
Le communicateur
Savamment, Bertrand Piccard interagit avec son lecteur en mettant à contribution son attention qu’il suscite en l’éveillant souvent avec des formules interrogatives qu’il lui adresse telles que : « Qui êtes-vous et que cherchez-vous dans la vie ? » « Comment vous sentez-vous ? » « Comment en sommes-nous arrivés là ? » « Et nous, sommes-nous vraiment mieux équipés pour partir à la conquête de notre vie ? » « Que vous dites-vous à cet instant ? » « Voulez-vous encore un exemple ? » « Et vous ? » ou des formules conditionnelles et interrogatives telles que : « Que serait le contraire de ma réaction instinctive ? » « Oserais-je aller plus loin encore ? » « Voudriez-vous un exemple concret ? » « Quelle impression cela ferait-il de nous réveiller de notre vie quotidienne ? » ou une formule impérative et interrogative telle que : « Maintenant, posez ce livre quelques instants, voulez-vous, et avant de le reprendre, demandez-vous si cela vous plairait de vivre ainsi ? » ou encore des formules impératives telles que : « Méditez un instant sur cette phrase pour vous-mêmes » « N’imaginez jamais que votre interlocuteur a compris ce que vous voulez lui dire ! » Ces multiples tentatives de connivence de l’auteur vis-à-vis du lecteur induisent à une lecture vivante et partagée. L’auteur se met au diapason du lecteur qui examine, analyse, prend conscience et aborde une nouvelle manière de ressentir l’existence. Regardez attentivement l’illustration de couverture… Que voyez-vous ? Reconnaissez-vous cet instrument ? N’est-il pas l’allégorie d’un état d’harmonie où l’homme serait en accord avec lui-même parce qu’il entrerait en résonance avec le monde qui l’entoure qu’il soit visible ou invisible et pourrait ainsi accomplir jusqu’au bout sa propre prophétie ? Pouvons-nous lorgner de l’autre côté du voile de l’invisible ? interroge Bertrand Piccard.
Comme l’aurait fait la guêpe allégorique de Changer d’altitude qui trouve la sortie en explorant chaque carreau vitré d’un mur qui l’emprisonne, nous avons parcouru chaque chapitre méthodiquement d’un sous-titre à l’autre avec l’espoir de découvrir une issue à ce qui fait problème pour nous. : la peur de l’inconnu. L’élan vertigineux que nous a transmis Bertrand Piccard ne peut à présent que nous encourager à nous augmenter de nos propres ressources qui, nous le savons maintenant, nous protègerons.
Laissons pénétrer en nous la musique et laissons-nous guider
« There is no G-d in Heaven
And there is no Hell below
So says the great professor
Of all there is to know
But I’ve had the invitation
That a sinner can’t refuse
And it’s almost like salvation
It’s almost like the blues »
(Leonard Cohen / Patrick Leonard) Popular problems — Almost Like The Blues
« Il n’y a pas de D—u au Paradis
Et il n’y a pas d’Enfer en bas
Ainsi parlait le grand professeur
A propos de tout ce qu’il fallait savoir
Mais j’ai eu une invitation
Qu’aucun pêcheur ne peut refuser
Et cela ressemble au salut
Cela ressemble au blues »
Bon vol à tous les lecteurs !
- Changer d’altitude, quelques solutions pour mieux vivre sa vie de Bertrand Piccard, préface de Matthieu Ricard, Éditions Stock, 300 pages, octobre 2014, 19 €
- Hypnose & Thérapies brèves (revue internationale de langue française) n °10 Août/Septembre/Octobre 2008, 9 €
- Se libérer du connu de Jiddu Krishnamurti, Éditions Stock, 168 pages, juin 2012, 16 €
- Dans le sens de la vie de Jenny Humbert et Claude Desarzens, Éditions Ciel et Terre, 2003, 30 CHF
Estelle Ogier