Cécile Coulon est une romancière et poétesse que l’on ne présente plus; après un conte empreint de mystère, La Langue des choses cachées, elle revient avec un recueil de poèmes inédit, qui semble à bien des égards dialoguer en sous-texte avec sa première œuvre poétique, Les Ronces (2018), portée aux nues par la critique et couronnée du prestigieux prix Apollinaire. Dans Retrouver la douceur, le paysage semble défait de ses anciennes épines; ou bien, s’il en reste, elles n’arrachent pas la peau mais rappellent d’anciennes cicatrices affadies par le temps. 

« Retrouver la douceur » : le titre donné par Cécile Coulon à son recueil, qu’elle avoue avoir également songer nommer « réparer » la douceur, instaure d’ores et déjà une tension, comme un point d’interrogation : le nouveau appelle l’ancien, le passé se rappelle au présent, et l’âge qui croît, dans une double torsion, pointe à la fois vers l’innocence de l’enfance et la sagesse de la maturité. Une chose est certaine : un pas a été franchi depuis Les Ronces. La poésie des balbutiements, vive comme le bond de la bête féroce, devient, à force de transformer l’élan fulgurant en ascension dont le calme ne fait que décupler l’intensité de la course, une créature protéiforme, mi-végétale, mi-animale, et dont les cris s’adoucissent pour reconquérir le rivage des humains. 

L’onirisme chtonien 

Avec Retrouver la douceur, Cécile Coulon n’abandonne pas le registre bucolique pour lequel on apprécie particulièrement sa plume, dans la mesure où elle ne se contente pas de décrire, de délivrer des images ; bien davantage, elle rend palpable l’atmosphère des lieux, de la nature qui semble être la continuité de son corps, de sa voix et de sa langue. Mais le sauvage prend avec ce recueil une teinte que l’on ne lui connaissait pas forcément encore : celui d’une nostalgie, d’une tendresse, empreinte certes du deuil de sa grand-mère, mais également, nous le pensons, d’un cheminement quant à la perception du monde, de l’altérité, et, dénominateur commun à ces éléments, du temps qui passe. Cette évolution donne naissance à une poésie dans laquelle le chtonien, c’est-à-dire le sacre du terrestre, se mêle à la douceur du rêve et des divagations, des fugues sur fonds de questionnements existentiels. La réflexivité de Cécile Coulon se glisse dans l’interstice de sa poésie, où l’on devine le miroir qu’elle s’est tendue devant les pages avant de nous le retourner, recouvert par la buée des mots qu’elle souffle, et sur laquelle, de nos yeux et nos doigts, nous retraçons le paysage de notre propre visage.

“Cécile Coulon rend palpable l’atmosphère des lieux, de la nature qui semble être la continuité de son corps, de sa voix et de sa langue.”

Depuis les villes, les villages, les plantes, les écosystèmes, Cécile Coulon nous rappelle, et ce sans la violence qui pouvait parfois peupler ses anciens (et non moins admirables) écrits – comme La Langue des choses cachées, par exemple, où la nature était saturée par la cruauté des hommes, et respirait l’hostilité – que nous ne sommes jamais rien d’autre que des terriens tatoués à notre environnement. À Paris ou bien au cœur d’un hameau sans nom, le lieu donne ses couleurs et ses humeurs à notre état d’âme, trace les contours de futurs souvenirs, cartographie les pleurs et les sourires. Le recours à la synesthésie permet à Cécile Coulon de dire tout en nuances et métamorphoses ce que le monde fait de nous – et non, comme nous aimons à le croire, ce que nous faisons de lui.

La texture, l’odeur, la couleur sont autant de façon de dire « Le nom des choses humaines », titre d’un des poèmes du recueil qui pourrait être celui du livre lui-même : en effet, la « naissance » comme « […] le sang d’une salle blanche / dans le blanc des chambres d’amoureux » (p. 23), « qui dure une seconde ou dix ans », la naissance, est le mot autour duquel semble tournoyer Retrouver la douceur. Naissance : éveil des sens, découverte d’un monde hostile et étranger, neuf et haletant, puis doux mais plus lent, aussi. Naissance : d’une innocence l’autre, de celle des bonbons et du sucre, des premières ardeurs, à celle du regard nostalgique, de nouveau étonné, une fois posé et arrêté sur le chemin parcouru. Tout ceci, ce sont les choses humaines, qui attendent d’être nommées, mais ne le peuvent jamais autrement que par des sensations fixées en forme de fugues sensuelles : la couleur du ciel, l’aspect des montagnes, le milieu harassant de « ce qu’on appelle une moyenne surface de consommation » (p. 27) – bien que Cécile Coulon invite à la douceur, elle ne se pr...