Dernier jour couvert par Zone Critique avant notre bilan. Quatre films qui nous ont intrigués mais parfois laissés de marbre. Au programme : les voix d’une communauté de Guinée-Bissau, des expériences psychiques menées par la CIA, et deux balades à vélo, autour de l’aéroport Charles de Gaulle et durant le tour d’Espagne.
- Resonance Spiral, Filipa Cesar et Marino de Pina (Portugal, Allemagne, Guinée-Bissau, 2024)
Le titre de Resonance Spiral synthétise le projet Filipa Cesar et de Marino de Pina : filmant un petit village des terres de Guinée-Bissau, Malafo, les cinéastes présentent et mettent en résonance différentes voix de cette communauté. Le parti pris poétique, esthétique et politique consiste à ne pas hiérarchiser ces voix, à les apposer les unes face aux autres pour créer cet effet de résonance. Par le biais de ses personnages, y seront donc abordés tout un panel d’enjeux : la place des femmes dans la communauté – par le truchement d’Amilcar Cabral –, le rapport au travail, la place de la culture – Chris Marker y fait même une petite apparition – et la question de la transmission. Que fait-on des histoires qu’on nous lègue ? Comment construire une narration qui leur est propre face à la mainmise du colon occidental ?
Nul héros se détache du récit : toutes les voix s’insèrent dans un tout circulaire et horizontal, proposant ainsi une narration qui lutte contre l’atomisation de la société. Le geste même du film s’oppose en ce sens à la société occidentale qui célèbre l’individu. Dans ce maëlstrom poétique, chaque émotion et chaque être a sa place. Le doute a aussi son rôle à jouer : face à la caméra, immergés dans la boue, les deux cinéastes s’interrogent sur leur démarche même, remettant en question la place du réalisateur qui surplombe son film. Pour Filipa Cesar et de Marino de Pina, plonger dans le « humus », retourner serait un geste d’ « humilité » et d’ « humanité ».
Néanmoins, la générosité des réalisateurs, qui consiste à accorder la même place à chaque protagoniste une part égale, constitue sa force et sa principale faiblesse : à force de déhiérarchiser le récit, il finit par être décousu.
Romane Demidoff
Prochaine projection le samedi 30 mars à 14h30, Cinéma 1, Centre Pompidou.
- Vuelta a Riaño, Miriam Martín (Espagne, 2023) / Aeroflux, Nicolas Boone (France, 2023)
Un trajet de vélo sépare et unit à la fois Vuelta a Riaño et Aeroflux. Le premier nous place dans un village près duquel passe le Tour d’Espagne, point géographique a priori anodin et décor sympathique pour sportifs aguerris ; dans le second, nous sommes le cycliste parcourant les interstices urbains et les lieux laissés pour compte. Avec Aeroflux, Nicolas Boone investit les routes et à-côtés qui entourent la zone aéroportuaire de Roissy – Charles de Gaulle. Accrochés à son vélo, nous suivons sa balade à travers les petits chemins, les bandes d’arrêt d’urgence, les tronçons d’autoroute. En fond sonore, du bruit : roues sur bitume, kérosène sur ciel, véhicules à toute vitesse. La caméra ne se pose jamais, ni ne rencontre jamais personne. À des kilomètres à la ronde, plus une âme en circulation. Le cinéaste traverse ces vestiges. Une rue paisible dont les maisons sont emmurées, un camp de Roms « démantelé » par la police ; la zone aéroportuaire ne s’embarrasse pas de la vie, tant qu’il y a des routes et des flux commerciaux. Si le propos d’Aeroflux est intéressant, la balade lasse parfois : on est content de rentrer.
Comme une réponse aux déambulations de Nicolas Boone, Miriam Martín s’ancre fermement dans quelques kilomètres carrés. Ceux qui entourent le village de Riaño, détruit en 1987, et où se trouve maintenant un immense lac-réservoir. Avec intelligence, la réalisatrice fait se confronter les images filmées du Tour d’Espagne, idylliques, étrangères, et les archives des habitants, retraçant la destruction de leurs maisons pour les bienfaits d’un barrage hydraulique maintenant défaillant. Les commentaires routiniers des présentateurs sportifs, lisant leurs fiches et se trompant dans la prononciation, deviennent peu à peu insupportables. Cette vue surplombante et naïve est une deuxième violence qui s’abat sur ceux que l’État espagnol a délogés de force : la condamnation à l’oubli. Face à ce ron-ron de paroles, soulignant la belle vue du lac, l’église déplacée « pierre à pierre », Vuelta a Riaño est un cri d’images : la poussière qui suit l’explosion de l’église, les objets abandonnés sur les gravats de la démolisseuse, les matraques de la police face à ces habitants accrochés sur leurs toits. Un droit de réponse qui fait serrer le poing.
Pauline Ciraci
Prochaine projection le samedi 30 mars à 16h45, Cinéma 1, Centre Pompidou.
- The Signal Line, Simon Ripoll-Hurier (France, 2024)
Il y a 50 ans, au sein de la Silicon Valley, la CIA, alors motivée par les courses à l’armement et à l’espace qui pullulaient durant la Guerre Froide, décide d’entraîner des médiums à dénicher des informations plus secrètes que jamais. Le principe était simple, un dessin, ou quelques mots notés sur un bout de papier placé dans une enveloppe scellée. Le médium devait alors user de ses pouvoirs pour deviner l’information en question. Les quelques archives qui défilent sous nos yeux sont sidérantes : un homme parvint à redessiner le système solaire, tandis qu’un autre, devant deviner une représentation du diable, se mettait alors à griffonner des croquis de lieux de cultes et autres symboles affiliés à Dieu. Les images sont d’autant plus saisissantes qu’elles témoignent de ces étranges pouvoirs psychiques à travers des gribouillages enfantins.
De nos jours, Simon Ripoll-Hurier recréé les conditions de ces expériences en utilisant des lieux et situations associés à la Silicon Valley. Il s’agit là du véritable sujet du cinéaste, ce lieu quasi-désertique et hors du temps qui donna vie à ces expériences à quelques pièces seulement de l’endroit où fut créé Internet. En 2024, à une époque où la science, en constante évolution, envisage d’intégrer des puces à nos cerveaux pour nous donner accès à toutes les informations possibles, le réalisateur oppose ce fantasme d’un savoir illimité à la pratique des médiums. Le troisième œil, qui possède indéniablement une part de floue, de tâtonnement et d’inexactitude, ne pourrait rivaliser avec la précision et la rigueur d’humains surdéveloppés. Seulement, par la même occasion, l’humanité n’aurait d’autre choix que d’abandonner ses fantômes.
Théodore Anglio-Longre
Prochaine projection le samedi 30 mars à 18h au Forum des Images.
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