Avant de connaître le succès grâce aux nus, Lucien Clergue côtoya les artistes d’avant-garde tel que Picasso qui le présenta à Jean Cocteau, entretenant alors une relation singulière entre poésie et photographie. « Jean Cocteau exhale la fumée, tournage du testament d’Orphée » est une illustration de ce rapport omniprésent dans l’oeuvre de Lucien Clergue.
Photographie et poésie
Lucien Clergue qui commença la photographie de manière intuitive a vu son talent s’accroître au contact des artistes en vogue dans les années 50. Picasso tout d’abord, mais aussi Cocteau et enfin Saint-John Perse. Un véritable échange a eu lieu entre ces deux disciplines, la photographie s’inspirant de la poésie, et la poésie trouvant son support dans la photographie.
C’est ainsi que Picasso dessine les couvertures de ses premiers livres, mais plus encore Cocteau le conseille pour le choix de ses titres et rédige des textes pour accompagner ses photos.
La plus belle illustration de cette liaison intime entre photographie et poésie réside dans le poème « Amers » de Saint John Perse. Jean-Maurice Rouquette lui avait fait remarquer la proximité existante entre les deux oeuvres et c’est ainsi que Clergue illustra la réédition du dit poème.
Dans cet échange constant, on peut notamment relever le soutien du poète Jean Cocteau envers son protégé Lucien Clergue, l’invitant à assister au tournage de son dernier film « Le Testament d’Orphée » qu’il considère lui même comme « le legs d’un poète aux jeunesses successives qui l’ont toujours soutenu ».
C’est lors de ce tournage que Lucien Clergue pu prendre les clichés immortalisant Cocteau alors en pleine création cinématographique, revenant sur l’ensemble de sa carrière, figurant au mieux le rapport entre photographie et poésie.
Clergue capture l’essence de Cocteau
Le titre « Jean Cocteau exhale la fumée, tournage du testament d’Orphée » parait exhaustif: on y voit l’artiste allongé, les yeux fermés mais couverts par un dessin exprimant le contraire, dégageant son habituelle fumée, que l’on peut suspecter opiacée. Lucien Clergue a ce talent de résumer en un cliché ce qu’a pu être la fin de vie de Cocteau.
Cette fumée possède une double acception, aussi bien celle du renouveau que de l’addiction néfaste
C’est lors de ce film que le poète se met en scène, revenant alors sur sa vie et plus particulièrement la dimension poétique de son oeuvre, Clergue rend justice à cette réflexion montrant un Cocteau non pas rêveur mais pensif. Bien qu’il soit physiquement endormi, l’illustration de l’oeil ouvert nous suggère que c’est à travers celui-ci que Cocteau entreprend cet exercice rétrospectif. Cet oeil qu’il a lui-même dessiné, rappelant alors ses talents pluriels et son style graphique propre. Il souligne aussi que c’est à travers sa conscience que l’artiste revisite son travail.
Cependant, ce n’est pas au réalisateur que Lucien Clergue laisse la part belle de l’image. En effet, la fumée qu’exhale Cocteau occupe une place majeure. Cette fumée possède une double acception, aussi bien celle du renouveau que de l’addiction néfaste. En effet, elle est à la fois une métaphore du phénix renaissant de ses cendres, un des thèmes récurrents dans « Le Testament d’Orphée », mais reste également évocatrice des fumées d’opium que l’artiste affectionnait tant.
- Lucien Clergue, les premiers albums jusqu’au 15 février 2016 au Grand Palais