Hanté par son héritage familial, Thibault de Montaigu nous livre un récit impérieux, habité par l’urgence de cerner un passé trouble qui lui échappe et qui le rappelle pourtant sans cesse à lui-même. S’il est vrai que « les fils sont là pour continuer les pères », l’auteur tente de renouer, peu à peu, avec les figures de son illustre arbre généalogique, et contrer l’inéluctabilité de la mort. Ce livre agit comme une ode à l’éphémère, un message de ces spectres qui défient l’oubli de leurs tombes pour troubler les vivants d’une mémoire nécessaire. 

Thibault de Montaigu plonge dans les arcanes du passé de ses ancêtres, qui se révèle surtout être le sien, et livre un récit d’enquête palpitant où les réalités passées, présentes et futures s’entrelacent pour ne plus former qu’une grande toile historique de liens noués, abîmés ou sectionnés. Ce voyage dans le temps, qui prend son origine dans une mystérieuse charge de cavalerie menée par son arrière-grand-père Louis de Montaigu, capitaine des hussards, remue les secrets enfouis et bouscule notre conception du temps et de la famille. 

Si Thibault de Montaigu est d’abord réticent à l’idée de déterrer les trésors poussiéreux de son histoire, il finit par se laisser intriguer puis séduire par les informations et les images que lui transmet inlassablement son père par mail. Ne se sentant pas légitime à traiter cet ambitieux et inconfortable sujet, ce n’est que lorsqu’il se retrouve face au costume déchiré à la jambe, témoignage de l’offensive désespérée de Louis, estropié par un éclat d’obus, qu’il réalise l’évidence d’une histoire qu’il habite aussi : « un écrivain ne choisit jamais son sujet ; c’est l’inverse qui est vrai. » Si ce livre peut rebuter les plus récalcitrants aux récits historiques perclus de dates et de mentions de combats obscurs, il a pourtant de quoi charmer grâce aux élans d’une plume souple et accessible, alliant avec délicatesse le tragique, la grâce et l’authenticité des mouvements de la vie. Rapidement, elle parvient à faire de parfaits inconnus, des intimes. 

Cœur se présente comme un véritable récit d’enquête, adoptant la dynamique d’un documentaire déstructuré où se mêlent anecdotes personnelles, fragments d’archives, récits de vie touchants et mentions historiques pour tenter de recomposer une histoire, qui n’est pas seulement celle de l’auteur, mais bien celle d’un arbre généalogique s’étendant sur des siècles entiers : « Quand on part sur les traces de ses ancêtres, on ne remonte pas le temps en réalité. On ne revient pas en arrière. On fait voile vers notre avenir. Vers ce lieu où réside une part inexplorée de nous-même. L’histoire que nous écrivons a déjà été écrite sous une autre forme, et notre vie, loin d’être une page blanche, ressemble à un palimpseste que chaque génération à tour de rôle efface et recommence. »

Nos ancêtres sont-ils des clés de résolution à nos parts d’ombres et nos tourments intimes, des parties inhérentes de nous-mêmes, des mémoires essentielles ?

Le devoir de mémoire

Face à l’énigme de Louis, Thibault de Montaigu s’interroge : « Mais qu’espère encore ce mort ? Qu’attend-t-il de moi à présent ? ». L’auteur insiste sur l’importance d’entretenir la mémoire historique comme un rouage indispensable à la bonne mécanique du présent. Le récit nous fait l’effet d’une immersion historique et intergénérationnelle où symboles, coïncidences, psychisme et continuités généalogiques viennent s’incarner dans un trouble diffus. Le lecteur interroge ses propres conditionnements et les limites véritables de son identité, question fondamentale du récit : personne ne peut se construire pleinement sans partager le souvenir de ses ancêtres et porter le fardeau de leur histoire : « j’ai l’impression, à relier tous ces traits, de dessiner le squelette de ma psyché, son ossature invisible ». 

Les identités se brouillent ; Thibault de Montaigu recherche les contrastes et les similitudes qui l’associent à son père, se sent bientôt habité de ses désirs et de ses volontés malgré lui et finit par s’interroger sur son héritage généalogique : « L’administration (en Argentine) exigeait toujours la présence de Louis […] à mes côtés. Sans quoi mon identité demeurait incomplète. […] Comme si une partie de moi-même faisait défaut. » Nos ancêtres sont-ils uniquement de pâles figures sur de vieilles photographies monochromes – où l’on cherche en vain des ressemblances physiques, comme le témoignage d’un patrimoine génétique immo...