Présenté à la Berlinale de 2015 et toujours inédit en France, le premier long-métrage du réalisateur néerlandais Sam de Jong – à qui l’on doit aussi ceci – se situe quelque part entre un clip de Die Antwoord, un film de Nicolas Winding Refn et le roman courtois : coloré jusqu’au kitsch, flirtant allégrement avec le mauvais goût, bercé d’une pop synthétique, Prince est un film maîtrisé et malheureusement moins trash qu’il ne le laisse paraître.
C’est dans une ouverture rondement menée que l’on fait la rencontre d’Ayoub, adolescent indolent qui, flanqué de trois acolytes, s’accommode tant bien que mal du désœuvrement, à grand renfort de graines de tournesol et de boîtes aux lettres explosées. Amoureux de Laura, petite amie d’une brute du quartier, Ayoub se voit projeté dans une quête chevaleresque contemporaine, où il devra s’élever dans la hiérarchie de la rue, où tout est question d’argent et de réputation.
Pure adolescence
Chez de Jong, la banlieue (en l’occurrence une cité d’Amsterdam) est un territoire clos mais dont la réalité – le quotidien, la drogue, la violence – a enfin droit à l’enchantement et au fantasme : les caïds chevauchent des quads (délire proche du Spring Breakers d’Harmony Korine) tandis que les kids, déclamant les marques de luxe comme une formule magique, gravitent autour d’une Lamborghini violette, objet de tous les désirs. En ce sens, Prince est un film de pure adolescence : naïf et sincère, Ayoub bande les muscles à la manière du Peter Paker de Sam Raimi. L’idée de mêler ce bouillonnement au substrat du roman de chevalerie (séduire sa belle par ses exploits) accouche des visions les plus mémorables du film, fantastiques détournements du réel : Ayoub, Prince couronné, débarque sur son cheval, à la conquête du monde et de sa princesse.
Film bien, trop calibré, fluide et rythmé, Prince peine à faire éclater le vernis coloré qui l’entoure et le condamne à ne pouvoir capter l’essence de son objet
Ce qui manque alors, pour que ces visions dépassent leur cadre formel et contaminent le film tout entier, est une question de croyance et de sentiment ; écrasé par l’imagerie plate, l’ensemble souffre d’une absence de trouble érotique, de véritables pulsions, d’une incarnation en somme, malgré un casting majoritairement amateur et particulièrement convainquant, Ayoub Elasri le premier. Si la relation du jeune héros à son père héroïnomane est filmée de façon simple et touchante, l’omniprésence de la musique ouatée et la sur-stylisation permanente laisse le spectateur à une distance bien commode et confortable : le tabassage en règle d’Ayoub passera ainsi comme une lettre à la poste, la violence ne franchissant jamais l’écran qui la sépare du spectateur. La faute en incombe également à la pauvreté des rôles féminins qui entourent Ayoub, aucun ne dépassant sa fonction scénaristique : une mère au foyer à la recherche d’une seconde jeunesse, miroir du regard qu’Ayoub porte sur son père, une demi-sœur (baptisée Demi, ça ne s’invente pas) à la source d’un conflit entre amis et une amoureuse rêvée qui se contente bien docilement de son rôle de trophée.
Film bien, trop calibré, fluide et rythmé, Prince peine à faire éclater le vernis coloré qui l’entoure et le condamne à ne pouvoir capter l’essence de son objet, ces désirs et violences adolescents auxquels il manque une sortie de route, un dérapage incontrôlé afin de briser l’étau formel finalement étouffant. Plus sale, plus trash, il n’en aurait été que plus vrai.
- Prince de Sam de Jong, pour l’instant inédit en France.