Dans Repentirs, une jeune femme, Cathy, fait face au désir d’enfant tandis que son entourage se retrouve chamboulé, mettant à mal ses repères. Pour son deuxième roman, la Britannique Chloë Ashby poursuit sa délicate peinture de la société contemporaine dans laquelle s’entremêlent interrogation de l’intimité et rapport à l’art.

À 35 ans, Cathy apparaît heureuse : vivant en couple avec son mari Noah dans leur logement londonien ; avec ses proches, aussi, dont sa mère vivant dans une maison du Norfolk au bord de la mer ; dans son travail, enfin, de conservatrice à la National Gallery. Seulement voilà, ce tableau idéal ne tarde pas à se craqueler… Car si elle s’était promise avec son mari de ne pas avoir d’enfant, un désir inattendu fait pourtant jour, lui faisant prendre conscience du compte à rebours de l’âge et des possibilités inhérentes de procréation.
Une situation qui va mettre en branle autant ses certitudes que son couple et sa vie. Moins intense que le récit mené dans Peinture Fraîche – premier roman de Chloë Ashby paru en France en 2023, qui racontait la difficulté d’une jeune femme à se faire une place et à s’affirmer – Repentirs est pour l’autrice britannique l’occasion d’un roman de la maturité, où l’introspection permet de mieux questionner le rôle social et la considération de la femme au sein du couple et de la société contemporaine. En empruntant à la forme du journal intime, les réflexions qu’il traduit amènent, mois après mois, à mesurer les évolutions et circonvolutions d’une pensée en mouvement.
Dérèglement
Tout commence par un dérèglement, qui affecte rapidement le quotidien très maîtrisé de Cathy. Prenant progressivement un aspect plus obsessionnel, celui-ci contamine le récit tout comme les pensées de la narratrice – pour qui la simple présence d’un enfant dans son entourage prend une résonance saillante. Il s’agit alors pour elle de parvenir à trouver les mots nécessaires, de pouvoir admettre que certaines choses d’apparence si figées peuvent être remises en question. Si bien que même en s’adressant à sa meilleure amie Anna, elle hésite à se confier : « Je m’apprêtais à lui raconter la fausse alerte, si tant est que le terme convienne, et à lui décrire ce que j’avais ressenti, ou pas ressenti. La façon dont ce retard dans mes règles m’avait fait prendre l’espèce de manque que j’éprouvais pour quelque chose de plus important, et poussé à me demander si ce quelque chose pourrait être un bébé. »
Mais face au refus de son mari et au bousculement de sa conviction première, longtemps défendue par le couple et fortement établie auprès de leurs proches, de ne jamais avoir d’enfant, Cathy ne sait plus quelle décision prendre. Rongée par l’inquiétude de regretter son choix au moment où elle ne sera plus biologiquement en capacité d’enfanter, elle se tourne vers le processus de congélation d’ovocytes. Une démarche pénible qu’elle entreprend principalement seule et qui la fait se confronter à un véritable vertige : la narration traduit alors les effets produits sur le corps par le traitement, entre injections et ventre qui gonfle, mais aussi sur la conscience de Cathy, qui s’en trouve plus troublée que jamais, plongée dans un état quasi second.
Écriture impressionniste
D’autres événements viennent également perturber le quotidien de Cathy. Les inquiétantes marques de sénilité de sa mère l’obligent à retourner régulièrement dans la maison familiale du Norfolk, renouant ainsi avec le souvenir de sa propre enfance tout en assistant, impuissante, aux ravages de la vieillesse autant qu’aux évolutions du paysage alentour grignoté par la montée de la mer. Autre phénomène troublant, cette fois dans son travail, pour lequel elle restaure un tableau qui réserve son lot de surprises. Car ce qui semble n’être qu’une simple marine hollandaise du Siècle d’or parmi d’autres, cache en réalité bien des mystères – c’est là le « repentir » du titre français de l’ouvrage, au sens du regret mais aussi de celui de la correction apportée par l’artiste, puisque sous les repeints de la marine hollandaise se révèle une baleine échouée, qui donne un tout autre sens au tableau. Une découverte qui agit pour Cathy comme une révélation faisant écho à celle qu’elle vit intimement et montre ce que les certitudes peuvent finalement dissimuler de plus souterrain.
En tissant ces différents fils, l’écriture se fait aussi vive qu’impressionniste, dépeignant tout en délicatesse et par petite touches le parcours de la protagoniste et sa relation avec ses proches. S’établit le parallèle entre l’activité de cette dernière et la manière de composer le récit avec attention et précision : « Pour l’instant, j’étais seule avec le tableau, dont le sens apparaissait enfin […] Lorsque j’étais totalement immergée, je devenais l’artiste, peignant les personnages en temps réel. »
- Repentirs de Chloë Ashby, traduction de l’anglais par Anouk Neuhoff, éd. de la Table Ronde, mars 2025