Sacré Ours d’Or à la Berlinale 2024, le film de la franco-sénégalaise Mati Diop, Dahomey, documente la restitution par la France de 26 œuvres à leur pays d’origine, le Bénin. Un long-métrage audacieux qui, se saisissant de l’actualité, participe à l’écriture de l’histoire.
Rouges, roses, bleues, vertes. Sur le sol de l’arrêt de métro Stalingrad, à Paris, de mini tours Eiffel clignotent et tapissent le sol d’un vendeur de rue. Le caractère lumineux et artificiel de ces objets, apposé à un plan qui représente la Seine brillante de mille feux, suggère d’emblée que cette capitale et ses symboles sont faits de toc. Mais comme dans son court-métrage Atlantique, c’est moins ce qui se trouve à la lumière que ce qui se tapit dans l’obscurité qui intéresse Mati Diop. Dans Dahomey, elle nous plonge au fin fond de la boîte où se trouve la statue du roi Ghézo, volée durant l’occupation coloniale de 1892 et platement renommée 26 par les colons français. Elle documente son retour ainsi que celui de 26 statues vers le Bénin (ancien royaume de Dahomey), suite à un accord entre Emmanuel Macron et Patrice Talon conclu en 2021.
À une époque où l’urgence semble être de donner une voix aux sans-voix, Mati Diop fait usage de la prosopopée pour ressusciter un roi glorieux béninois oublié, voire nié, quasiment relégué au statut d’objet exotique – en écho à la première image du film. Elle opère ainsi un déplacement nécessaire de point de vue. Écrit avec l’écrivain haïtien Makenzy Orcel, son monologue, qui joue d’un imaginaire occulte et animiste, s’adresse au spectateur et l’ensorcelle. La caméra épouse son regard et suit son odyssée, du fond de sa boîte au Quai Branly jusqu’à son installation dans les musées béninois. Chaque étape de son grand voyage est documentée : une armée d’experts en blouse blanche le soigne avec amour, le masse de leurs gants en latex, le juche sur une chaise à porteurs. Sous nos yeux, cette statue a enfin droit aux honneurs d’un roi.
Ainsi, Mati Diop ne donne pas seulement à entendre des voix. Elle invite à voir des corps. Voyez ce corps en bois foncé et ce visage à la bouche béante. Ce sont ceux du roi de Béhanzin. Et avez-vous vu le roi de Glélé ? Le cinéma vient ici multiplier et supplanter l’espace du musée occidental (espace de la vision par excellence) pour imposer un temps de contemplation à ces visages, placés sous un éclairage nouveau. Mais la caméra ne s’en tient pas à capturer ces corps figés : c’est aussi tous ceux qui les contemplent, curieux et émus, qui apparaissent. Un plan est à ce titre parlant : dans les rues colorées d’Abomey, des Béninois s’affairent. À rebours d’un cinéma qui figerait ses protagonistes et ses idées comme des totems intouchable...