Comment raconter la vérité quand on est un créateur d’illusions ? Dans ce seul-en-scène présenté au Théâtre du Rond-Point, le magicien Thierry Collet (compagnie Le Phalène) fait le pari difficile mais tenu de nous duper avec honnêteté. Entre des numéros (pas si) classiques de prestidigitation et des atmosphères inédites où le témoignage personnel prend le pas, Thierry Collet, mis en scène par Éric Didry, interroge notre regard et aiguise notre esprit critique face à cette magie qui se déploie sans que nous puissions tout à fait la comprendre. Avec lui, la magie se vit et se raconte : elle se livre mais sans se dévoiler, et nous réconcilie avec l’incertitude.
Croyez-vous à cette image ?
Les croyances et les habitudes voudraient que les magicien·nes soient destiné·es à mentir : pour que les tours fonctionnent, ils et elles doivent tenir un rôle précis, ni trop complice ni trop hostile vis-à-vis du public, leur permettant d’assoir leur autorité. La vérité viendrait « affaiblir » le pouvoir de la magie, qui repose sur une forme de distance émotionnelle entre les prestidigitateur·rices et leurs spectateur·rices. Thierry Collet, qui pratique la magie depuis plus de quarante ans, tente de démonter cette injonction en partant de son propre parcours. Il nous emmène dans ses souvenirs de congrès de magie, de rencontres avec de grands noms et de grands tours, mais aussi dans les coulisses de son quotidien de praticien de la magie, de ses interrogations quant aux liens avec le théâtre jusqu’aux newsletters de créateur·rices de tours de magie qu’il lit toujours avec excitation.
La magie apparaît comme une amie que l’on croise depuis toujours mais dont on n’a jamais parlé la langue.
Thierry Collet nous renvoie aussi malicieusement à notre propre conception fantasmée de la magie, à travers des références communes allant de Star Wars à Ma sorcière bien-aimée en passant par Harry Potter, mais aussi en remontant plus loin dans les époques avec des récits de tarot, de bateleur et de fou. Au contact de ces histoires, on se sent plus en phase avec la magie : elle apparaît comme une amie que l’on croise depuis toujours mais dont on n’a jamais parlé la langue. Analyste, Thierry Collet s’amuse aussi des différents types de personnalités de spectateur·rices de magie : celui qui veut connaître le tour, celle qui préfère rester dans le mystère, celui qui croise les bras, celle qui triche quand on lui demande de fermer les yeux… Et celles et ceux qui sont ensuite invité·es à monter sur scène répondent d’ailleurs – magiquement – à ces critères.
Manifeste de l’imaginaire
La magie se déploie avec bienveillance et humour, sans tomber dans la manipulation.
La finesse de ce spectacle repose sur la construction de cette complicité avec le public, qui n’est pas une illusion. Ce rapport égal entre scène et salle permet à la magie de se déployer avec bienveillance et humour, sans tomber dans la manipulation. La magie n’en est pour autant jamais altérée : Thierry Collet dose parfaitement la quantité d’informations auxquelles il nous laisse avoir accès. S’il nous explique la technique du « faux dépôt » ou nous invite à découvrir l’intérieur de la fameuse « caisse aux épées », c’est moins pour vendre la mèche que pour nous inviter à affuter notre regard et notre écoute, même si l’on ne peut pas encore décoder ce langage. Le magicien nous emmène à un endroit très intéressant, entre l’innocence et le savoir, entre le brouillard et la clarté. Par des indices de vérité, il nous encourage finalement à ne pas perdre notre méconnaissance, car « on est souvent déçu par ce qu’on trouve à l’intérieur des boîtes ».
On y distingue l’aveu d’une fragilité, du besoin de rester lové dans l’imaginaire.
Avec beaucoup de générosité, Thierry Collet nous emmène avec lui dans toutes les réflexions qui ont jalonné son parcours de magicien et d’artiste. On y distingue l’aveu d’une fragilité, du besoin de rester lové dans l’imaginaire lorsqu’il commence la magie à sept ans, l’âge de raison. Il nous offre de nombreux souvenirs personnels, qui ne semblent parfois pas liés à sa pratique de magicien (comme la phobie des pommes dont souffrait sa mère), mais qui expliquent finalement chacun à leur façon son besoin de créer des imaginaires magiques. Tout tient dans cette parole simple et sincère : « Je ne veux pas que le mystère me domine. Alors le mystère je vais le fabriquer, pour les autres ». Dans un extraordinaire final, le magicien se défait de tout ce qui l’encombre pour créer la plus belle des illusions : la magie à nu.
Dans un très bel échange avec le public, rempli d’humour et de complicité, Thierry Collet nous permet de regarder enfin le mystère dans les yeux, d’en apprécier l’élégance et la métamorphose, pour en faire toujours l’allié de notre imaginaire.
- Dans la peau d’un magicien, conçu et interprété par Thierry Collet assisté de Dylan Foldrin et mis en scène par Éric Didry, au Théâtre du Rond-Point jusqu’au 27 mai.
Crédit photo : © Baptiste Lequiniou