La Floride est ici poisseuse et sucrée, pastel et éclatante ; « on [y] a tellement chaud que l’univers commence à devenir flou, ses atomes fusionnent ». Elle écœure jusqu’au malaise. On s’y alanguit et on y est terrifié, on y espionne pour tromper l’ennui jusqu’à ce que la violence du monde adulte percute celle du monde adolescent. Dizz Tate, traduite par Madeleine Nasalik, choisit une métaphore aux accents horrifico-fantastiques pour matérialiser ce qu’elle veut dénoncer, pour souligner ces apparences trompeuses. Elle raconte ces âmes enfantines enfermées dans des corps trop grands pour elles, mutant trop vite, habités de pulsions et de désirs encore impossibles à véritablement cerner, et encore moins à comprendre. 

Dans Brutes, on se jalouse et on se chamaille, on s’écrase tout en se collant aux basques, on veut briller tout en restant invisibles au sein du groupe. 

« Hors de question qu’on se façonne dans la douceur, nous on jaillissait de la rage, une rage qu’on sentait jusque dans nos os. »

Illusions de paradis 

Hazel, Jody, Isabel, Leila, Britney et Christian sont inséparables. À la fenêtre, jumelles vissées sur le nez, ces filles et cet unique garçon observent tout ce qui se déroule, fouillent la nuit du regard pour mieux se repaître du théâtre adolescent se jouant à l’horizon ou en contrebas. En guise de décor, Falls Landing, ce lotissement de demeures cossues où les filles ne sont jamais allées mais dont elles rêvent, lotissement protégé par des grilles hérissées de piques, par un mur blanc source de tous les fantasmes. Tous les soirs s’y perche Sammy, cette lycéenne qui obsèdent les petites narratrices, plus si petites, déjà habitées du besoin de plaire, d’attirer les regards, de devenir des starlettes et de ne plus évoluer dans l’ombre de celles qui les fascinent tant – Sammy et Mia, plus âgées mais à peine, cristallisant les désirs de ces filles qui vont jusqu’à réinventer le nom de leurs vernis à ongles, couleurs-poèmes. La première des deux lycéennes disparaît lorsque s’ouvre le livre, présence absente qui vampirise l’attention, trou noir avalant toutes les préoccupations. Les narratrices ont peut-être vu quelque chose, ou peut-être pas. Elles sont excitées par le remue-ménage qui s’ensuit, en profitent pour échapper à la vigilance de leurs « mères » – jamais désignées autrement que par ce nom pluriel – et pour savourer une liberté douce-amère. 

“La plume de Dizz Tatefourmille de détails qui font jaillir des sensations et d...