« Un bébé n’a rien à faire dans une bibliothèque » écrit Doan Bui dans LePays de Nulle Part. Une phrase incisive qui pourrait être porte-parole de tout ce roman qui, page après page, fait face à l’inexplicable cruauté du deuil d’un enfant.

Doan Bui, Le Pays de nulle part

Dans ce roman en quatre parties, les courts chapitres se succèdent et les formes se multiplient : narration, lettres, citations, poésie cohabitent. 

La narratrice, un « elle » relativement anonyme, essaie de raconter son expérience de mère après la mort en 2013 de son enfant Mê Linh, dans un livre qui semble d’abord se présenter comme une errance. 

« La mort crée le silence » 

Tout commence avec la section Mort, Mode d’Emploi. L’histoire se dessine au rythme des évènements qui agitent le reste du monde. De George Bush à la Princesse Kate, entre réflexions sur la valeur de la vie et la validité du chagrin, s’esquisse par fragments une observation glaçante : le Pays de Nulle Part, c’est d’abord cet espace où le deuil n’existe pas.

Alors le survivant cherche des alternatives. Le monde numérique où l’on essaie de conjurer l’oubli: une dernière vidéo, un dernier audio, surgissent d’outre-tombe et flottent dans le présent. 

Le Pays de Nulle Part, c’est aussi le pays où le deuil est double : on enterre sa fille et avec elle, on enterre cette personne qu’on était avant la catastrophe. Pays de Nulle Part, pays des visages fracturés, des identités perdues qui pourtant collent à la peau, des identités que le reste du monde force à oublier, qui sont pourtant identités sociales soumises à loi du silence. 

Mais dans ce monde, ce qui reste, c’est surtout la solitude. La perte. Chez Doan Bui, Le Pays de Nulle part, c’est avant tout cet espace où vont ceux qui s’en vont. Le vide. 

Dans la section Vie, 358 heures,, le Pays de Nulle Part devient le royaume de la mémoire, pour contrer le vide.  

Entre comptes-rendus médicaux et moments d’intimité, la mémoire de la mère navigue, inexorablement, de la naissance à l’agonie de l’enfant qui “pleure sans bruit”. 

Doan Bui porte un regard sans fard sur la souffrance. Souffrance de l’enfant, souffrance de la mère qui traverse le temps car la mémoire est cet espace flottant, où le souvenir est roi mais le traumatisme dictateur : la mort efface les frontières et ne laisse que le pire. 

Avec la section Morte et vivante : Microfiction, nous entrons dans la partie des langues qui se délient et racontent.  

La narratrice assume toute la difficulté d’écrire sur le deuil. Comment écrire ? Les mots ne semblent jamais suffire. Il faut alors tout explorer : l’absurdité, l’humour noir, le dialogue, le mélange des genres. 

Car il s’agit de donner la parole. Aux mères de l’Histoire et du quotidien, aux anonymes, aux grandes sœurs, à l’infirmière, mélanger le réel et la fiction, raconter. Peu importe comment, parler. 

2023 : Epilogues vient conclure ce roman en abordant la complexité de l’acte d’écrire. 

Les mots, entre crudité et simplicité, sonnent comme des constats :  énoncés clairement. Mis à nu, ils son...