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Nous poursuivons notre série dominicale consacrée aux pastiches d’écrivains en publiant cette semaine un extrait inédit des Essais de Montaigne intitulé Du cousvre-feu.
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Nil ego contulerim jucundo sanus amico.2
A l’avanture, je trouve que cette pandesmie nous pousse à desraison, et la justice aussi. Un valet à Thoulouse accusé d’avoir toussé sur son voisin assistant, fuct condamné à pendaison. Et tel autre à Lugdunum, qu’on dict avoir laissé son mouchoir sur la voie publique, qui fuct bruslé tout vif. Je m’estonne d’un tel tumulte, qui nous jette les uns contre les aultres, et nous faict craindre le moindre signe de fievre et la goutte au nez, et nostre famille. Moy-mesme y suis parfois subject, craignant ne plus sentir mon collet de fleurs, et les excremens de mon cheval, qui est plus avisé que nous. Parfois ne plus ouïr du tout, qui serait mieulx, en ces temps troublés. Je hay la desraison ambiante qui me chagrine, et me transforme ; comme si n’étois plus moy.
Tum pavor sapientiam omnem mihi ex animo expectorat3
Mais quoi ? Les nouvelletés nous viennent sans que ayons consenti. Et laisse à part mon espouse, qui gueste le crieur de Gascogne, pour connaitre les morts qui sont chus hier. Que nous sert de savoir, si nous ne pouvons agir. Et ceulx mesme qui sont savants ne sont poinct ouïs : n’a-t-on pas vus medecins, proposer remede miraculeux, estre jetés dans les ravins pour menterie ? Adeo pavor etiam auxilia formidat4. Me revolte cette absence de sagesse ; Et aultrefois si douteux de la medecine, suis meshuy tenté par cette cure incertaine : Mais veux conter cette histoire, qu’un mien proche parent de Bergerac, qu’on dict inoculé par le remede, eut un troisieme membre lui pousser sur la teste. Et m’en effraie, si est-ce que je pense avoir remarqué son goust pour les feintises. Et après ? Une teste ne nous suffit pour bien penser, me ravit d’en acquerir une seconde pour avoir plus de sagesse. L’aultre jour que je parlai avec un Hongre, me dict qu’en son païs ils ont le droict de cheminer à touste heure, pourvu que chacun soit distant et bienveillant après son voisin. Et tel Egyptien me disoit preferer mourir pesteux que de renoncer à son espouse bien mal en poinct. Les Allemans ont l’exercitation pour usance, et vont chopant, tressautant et bronchant, pour extraire la cosvid de leur complexion. Chose de grande necessité :
Mens sana in corpore sano
Et les Indiens mangent tout cuit, redoutant les ravages de la crudité. Les plus jeunes et dispos questent la nourriture, cependant que les vieillards siegent en plein air, sans climat empoisonné. Tous portent une contenance gaie, et trottent : Ne sont poinct estonnés et poltrons comme icy. La vaillance est une seconde nature, qui s’apprend, comme l’alphabet, la lecture et l’escrime. Et suffict d’une organisation habile, pour preserver notre société, qui est saine, amicitieuse et douce en temps de paix. Mais pour reprendre mon propos : suis bien marry de nous voir accepter tant de charge, et de rudesse, comme nous voyons les chèvres de Candie, sous la tutelle du berger. Ailleurs me semble que Lactance attribue aux bestes, non le parler seulement, mais la raillerie, de quoi suis certain que nos chiens et oiseaux rient de nos cautions stupides, retranchés chez nous au dixiesme coup de cloche. Eux sortent du nid sans effroi, à toulte heure et tout moment, n’en sont poincts plus malades ou affadis. Et respirent mieulx que nous. Si bien que je m’estonne que nous ne les prenons pas pour modelles. Mais quoi : ils ne suivent poinct les gestes barriere.