18h15, un soir de l’été 1994. Catalina, seize ans, quitte la maison de l’une de ses copines pour rentrer chez elle. En l’absence de bus, elle doit se résoudre à faire du stop. Elle sait le danger auquel elle s ’expose – ce danger perpétuel que courent les adolescentes dans l’espace public, plus grand encore si elles jouent les autostoppeuses. Elle préfère pourtant s’y confronter que de se risquer à ne pas respecter le strict couvre-feu imposé par ses parents. À partir de cette situation banale, Rosario Villajos déploie un roman percutant et juste, oscillant entre le thriller et le flux de conscience.

Si le retour de Catalina chez elle se lit sur le mode du thriller, si le suspense se maintient et s’accélère tout au long de L’Éducation physique, c’est bel et bien au flux de conscience de l’adolescente que le roman doit sa superbe. Jusqu’à 21h45 en effet, les pensées de l’adolescente se succèdent et s’emmêlent, et c’est dans ce flux, intense et contradictoire, que tout se joue. Car Catalina est à l’âge de l’une des prises de conscience les plus décisives de la vie d’une moitié de l’humanité, celle de ce que signifie le fait d’être née dans un corps de femme.
Le corps féminin, entre enfermement domestique et exposition au danger
L’adolescente le comprend : de toutes parts et par tous les pores de sa peau, son corps lui échappe – et ce retour tourmenté chez elle n’en est qu’une métaphore. Si elle se met en danger en faisant du stop, c’est parce que ses parents l’enferment chez elle de crainte qu’elle ne soit agressée, comme ces deux jeunes femmes de la région récemment assassinées, et dont l’histoire encourage la plupart des parents à resserrer les liens autour des corps de leurs filles. Mais c’est aussi parce qu’elle préfère encore les inconnus au père de sa copine, auquel elle aurait pourtant pu demander de la raccompagner : il n’est pas indifférent à son corps, désormais devenu objet de désir et d’appropriation. Et c’est encore ce corps de femme, dont Catalina prend douloureusement conscience, qui pousse ses camarades à griffonner « Cata la suceuse » dans les toilett...