Eephus entrelace une inspection comportementale d’un groupe d’hommes vieillissants avec la mélancolie de leur dernière rencontre. À une époque où le simple plaisir de se rassembler devient rare, ils s’accrochent à cette dernière journée dans une tentative obstinée de suspendre le cours du temps, comme un acte de résistance à l’érosion inexorable des liens humains.
Un dimanche d’automne, dans une petite bourgade de Nouvelle-Angleterre, la saison professionnelle de baseball s’achève et le froid s’apprête à s’installer durablement. À la radio, la voix rauque de Frederick Wiseman prophétise la destruction imminente d’un terrain de baseball, tandis qu’un groupe d’hommes grisonnants, membres de deux équipes amateurs locales, converge lentement vers ce champ sanctifié, à l’orée de sa destruction, pour un ultime affrontement. Suspendu dans le stade, un panneau énigmatique proclame : « freedom is never free » – une maxime qui résonne tantôt comme un avertissement, tantôt comme un défi.
Sur cette trame crépusculaire, un microcosme se déploie, mêlant mélancolie et humour dans un bavardage typiquement masculin. Le film dissout la subjectivité des personnages dans le tissu de la communauté, tout en leur conférant, paradoxalement, une individualité d’autant plus saisissante. Les corps usés par les années, les gestes fatigués, les manies corporelles et les visages singuliers des protagonistes sont scrutés avec fascination – on dirait que leur existence ne trouve son expression que dans le cadre de cette activité commune.
Cette scène intime suscite une réflexion plus large : celle de l’érosion des communautés locales, lentement rongées par les mutations culturelles et les assauts implacables de la mondialisation. Ces bouleversements vident peu à peu ces petits bastions de leur âme, les engageant sur la voie de l’homogénéisation : à l’image des regards d’égout triangulaires, emblèmes de la petite ville, progressivement remplacés par des modèles circulaires, les singularités et idiosyncrasies de ces communautés s’effacent au profit d’une culture uniformisée, reléguant ces particularismes aux marges des livres d’histoire.
Ce qui intrigue davantage, c’est que le terrain de baseball n’est pas remplacé par un centre commercial ou un supermarché, mais pour la construction d’une école. Au-delà de l’influence destructrice des forces politiques, le temps, dans son indifférence souveraine, finit toujours par triompher.
Un temps suspendu où le spectateur, tout comme le joueur, attend patiemment que l’éphémère prenne sens.
Suspendre le temps
Au baseball, un eephus désigne un lancer d’une lenteur extrême, conçu pour dérouter le frappeur. Réussi, il semble suspendre la balle en plein vol, comme si le temps lui-même s’arrêtait. Le titre du film devient alors une métaphore : tout comme ces joueurs amateurs s’efforcent d’étirer leur partie, refusant que la journée s’achève, le film suspend le temps grâce à une atmosphère placide et mesurée, où le charisme des personnages étend le vide qui les entoure.
À bien y réfléchir, le baseball et le cinéma partagent une essence commune. Plutôt que de se perdre dans les distractions de la vie moderne, nous choisissons de consacrer notre temps à contempler des images en mouvement. Un personnage résume cette analogie avec une simplicité désarmante : ...