Adèle Yon signe, avec son livre Mon vrai nom est Elisabeth, le coup de cœur de votre copine féministe, de tous les libraires de France et de Navarre, et du masque et la plume. Grand chelem ! À l’origine une thèse en recherche et création, elle a réussi son pari d’en faire un livre grand public sur un sujet à la fois intime et politique, le sort de son arrière-grand-mère, diagnostiquée schizophrène dans l’après-guerre et lobotomisée à la demande de son mari, André. À la fois cuisinière, enseignante-chercheuse en cinéma et maintenant autrice, elle révèle les secrets de son travail créatif.

LÉA BORY : La thèse recherche et création, qui t’a permis d’écrire Mon vrai nom est Elisabeth, ça consiste en quoi, concrètement ?
ADÈLE YON : L’école doctorale du SACRe et la recherche création plus généralement se sont construits en même temps que les gens qui en font. L’un des enjeux c’est justement d’expliquer ce que c’est, quelle forme ça peut prendre. Je dirais qu’il y a autant de formes que de gens qui la font. Ça a été inventé pour valoriser le fait que le travail que font les artistes est aussi de la recherche, et inversement. De mon côté, l’objectif était de montrer que des méthodologies artistiques peuvent être employées à des fins de restitution de connaissance. Ce que je montre en partie dans les cent dernières pages, c’est que cette démarche-là a produit des connaissances dans les différentes disciplines que j’ai croisées. J’ai aussi eu beaucoup de chance, dans le sens où mes deux directeurs sont un peu des pionniers dans un champ qui est très transversal. Par exemple, Antoine de Baecque est l’un des premiers à avoir travaillé sur la valorisation et la diffusion de la recherche.
LÉA BORY : Comment s’est passé le passage de la thèse à l’édition ?
ADÈLE YON : Mon pari était de voir si un même texte pouvait et me donner le titre de docteur et être édité par une maison d’édition littéraire. Le moment où j’ai rendu à mes directeurs de thèse la thèse finale, je l’ai aussi présentée à des maisons d’édition. C’était vraiment le même manuscrit que j’ai envoyé et après ça s’est fait de manière concomitante parce que le manuscrit a été accepté aux Éditions du sous-sol au moment où mes directeurs ont validé mon texte. Quand j’ai rencontré Adrien Bosc [directeur des éditions du sous-sol], ça a été un coup de cœur mutuel immédiat, et ensuite j’ai passé l’été à lire les autrices du sous-sol et là, ça a été un deuxième coup de cœur.
LÉA BORY : Tu as plusieurs casquettes: cuisinière, enseignante chercheuse en cinéma, autrice… Comment tous tes métiers s’expriment dans ton écriture ?
ADÈLE YON : Normalement, mes différentes casquettes ne sont pas tellement unifiées, c’est-à-dire que quand je suis en cuisine, je suis cuisinière, quand j’enseigne, je suis prof. La cuisine, cela dit, a aussi une place dans le processus d’écriture. J’en parle dans une scène qui décrit la découpe de la viande, la cuisine, c’est l’apprentissage de ce que ton corps est capable de faire. Tout ce travail d’écriture est quand même un processus pour aller depuis l’écriture académique de ma formation initiale vers une écriture d’un autre type et pour ça la cuisine ça m’a beaucoup aidé, parce que ça m’a vraiment ancré. En cuisine, au début, tu renverses tout, tu te brûles, tu as des coupures partout, tout le monde te déteste, et en fait petit à petit tu apprends sans en avoir conscience à gérer ton corps dans un espace. On a une conscience de son corps qui change complètement et c’est très important dans l’écriture. L’enseignement et les cours de cinéma, on le retrouve dans l’analyse du double fantôme, c’est un peu un décor au début, un motif cinématographique. Le cinéma, pour moi, c’est comme la philosophie, c’est une méthode, c’est une manière de penser. Mon texte est fabriqué comme un film : il est monté comme un film.
LÉA BORY : C’est ton premier livre, et le succès a été immédiat. Tu es passé, entre autres, dans la grande librairie, sur Arte, dans plusieurs émissions de France Culture et France Inter… Comment vis-tu le succès, et le marathon des interviews dans les médias, les salons et les librairies ?
ADÈLE YON : Il faut avoir les épaules ! C’est énormément de stress quand même, parce que tu ne peux dire non à rien. Je suis perfectionniste donc je n’arrive pas à me dire : « bon là ce n’est pas grave on passe » et du coup c’est vrai que ça me stresse énormément. J’en suis arrivée à un point où il y a deux semaines c’était vraiment trop : j’avais des travaux universitai...