Chloé Saffy est romancière et essayiste. Dans son œuvre, l’érotisme tient une place centrale. Son nouveau livre, La Vocation, narre « son » échange virtuel avec une certaine Salomé, qui raconte à l’autrice sa servitude volontaire auprès d’un couple fortuné. Un roman autofictionnel à la frontière de l’essai, richement documenté, qui questionne sur la frontière du fantasme et de la réalité.

Louisiane C. Dor : Dans votre ouvrage à paraître, La Vocation, (Le Cherche Midi, août 2025), vous racontez l’histoire d’une soumission « volontaire ». Pourquoi avoir choisi cet angle ?

Chloé Saffy: Si l’on parle de la forme même du livre, c’est parce que cette rencontre m’a rapidement submergée, sur le plan humain, émotionnel et… littéraire. L’écrivain voyait nettement la charge romanesque de ce flot de confidences. D’autant que Salomé avait un grand désir de s’en délivrer auprès d’une personne, qui je crois, allait la comprendre, à tout le moins ne pas la juger. Mais comme justement, elle m’avait élue, et que j’ai été aspirée comme jamais par son récit, je ne cessais de revenir à cette idée que la pure fiction romanesque ne rendrait pas justice à ce que j’étais en train de traverser. Cette servitude dans laquelle elle a glissé semblait une hyperbole de mes lectures sur le sujet… Tout en ne cessant de court-circuiter les figures imposées du SM que je connais par un faisceau de détails choquants. 

Louisiane C. Dor : Vous écrivez des romans et essais sur le thème de l’érotisme. Comment vous est venue cette « vocation » ?

Chloé Saffy: J’ai grandi avec l’érotisme, peut-être un certain érotisme encapsulé dans les années 1980, moite, triomphant, charnel, ne serait-ce que dans les clips ou la publicité. Chez mon père, des revues comme Lui ou Newlook étaient accessibles, les bandes dessinées de L’écho des Savanes étaient très explicites. Cela a fait partie de mon environnement, et a certainement contribué à façonner ce goût particulier, mais qui je crois ne demandait qu’à être cultivé. J’appréhende la littérature érotique avant tout comme une littérature de genre où le sexe doit être traité comme une intrigue à part entière, ou comme un élément de suspense. L’envie d’exciter le lecteur, le troubler est indéniable, mais ce qui me plaît, c’est avant tout de continuer à raconter une histoire et des personnages par l’érotisme : de montrer que l’histoire ne s’arrête pas quand ils passent dans la chambre à coucher. 

Louisiane C. Dor : Grâce à la façon particulièrement documentée dont vous traitez ces sujets, cherchez-vous à briser certains clichés ?

Chloé Saffy: Le SM, puisqu’il en est énormément question dans ce livre, est l’une des sexualités les plus taboues, mais aussi l’une des plus fantasmatiques, car elle est par essence cérébrale, théâtrale, protocolaire, raffolant du décorum. On la craint, on en ricane parfois, elle fascine, mais on ne la comprend pas toujours. Quand j’ai commencé À fleur de chair (La Musardine, 2021), j’avais déjà le désir d’écrire un roman où les lecteurs puissent sinon accepter, à tout le moins comprendre l’élan qui pousse quelqu’un à aller vers la soumission ou la domination. C’est d’ailleurs ce qui a fait mouche dans les retours que j’en ai eu : les novices comme les initiés l’ont beaucoup aimé. Les premiers car ils se sont identifiés au personnage de Delphine, et sont passés par toutes les émotions contradictoires qu’elle traverse en prenant violemment conscience de ce que vit son mari Antoine avec sa soumise Iris. Les seconds car ils ne se sont pas sentis trahis par les situations que je dépeignais dans ce roman. Dans La Vocation, il me semblait vital d’en passer par cette forme de pédagogie, je la crois indispensable pour essayer de cerner ce qui anime Salomé. À commencer par le fait que j’ai moi-même dû me raccrocher à mes connaissances, ou mon propre vécu avant même de commencer l’écriture de ce livre pour tenter de cerner ce qui se passait. 

Louisiane C. Dor : La question de la servitude est-t-elle, selon vous, aux antipodes du féminisme ? Sinon, l’appropriation, les décisions liées à son propre corps, sont-elles...