ZONE CRITIQUE : Est-ce que vous pourriez vous présenter : comment vous-êtes-vous rencontrés et qu’est-ce qui vous a donné envie de faire de la musique ensemble ?
GRAND BLEU CANAP’ : Nous, c’est Grand Bleu Canap’. Erwan, Giulia et Vincent. Nous sommes un trio de musicien.ne.s et on fait de la chanson française. Nous chantons à 3 voix, parfois ensemble, parfois à tour de rôle. Côté instruments : un piano et un violoncelle. Un accordéon ou une guitare s’invitent à la fête de temps en temps. Nous ne sommes pas musicien.ne.s de formation, nous sommes comédien.ne.s. Nous nous sommes rencontré.e.s dans un cours de théâtre en hypokhâgne en 2011 et nous avons d’abord créé des spectacles au sein d’un collectif. La musique y avait une place de choix.
Par un heureux hasard, nous avons eu l’occasion de nous produire en concert une première fois, avec les chansons du spectacle et d’autres petits trucs qu’on avait préparés rapidement tous les trois. Mais nous n’aurions jamais imaginé nous retrouver un jour pour faire un groupe. Nous avons dû nous séparer pour un temps, le théâtre nous appelant à droite et à gauche. Mais la musique restait une belle façon de communiquer, de nous retrouver à distance. Au début Vincent envoyait des bouts de textes à Erwan (on a commencé par Martin en Angleterre) et Erwan renvoyait des bouts de son. Giulia et Vincent se voyaient aussi de temps en temps pour des après-midi gâteaux-musique. On a voulu concrétiser tout ça un été tous les trois pour que ces bouts de chansons prennent un nouveau virage. C’était l’été 2019, on a fouillé dans nos boîtes mails et dans nos enregistrements téléphones et on a commencé le travail, deux semaines après on avait nos dix premiers morceaux. Quelques mois plus tard on a commencé les concerts et on a trouvé ce nom : Grand Bleu Canap’
Comment se répartissent les rôles dans le groupe ? Comment travaillez-vous ensemble ?
Tout commence généralement par l’écriture, avant la musique. Vincent est le principal parolier du groupe, c’est lui qui a initié les premiers textes et qui continue d’en proposer régulièrement. Et puis avec le temps, tout le monde s’est mis à écrire. Chacun a sa patte mais l’ensemble est toujours cohérent, ça se recoupe, ça se répond, ça se ressemble. Nous écrivons rarement à plusieurs, chacun apporte ses textes et les soumet au groupe. On en parle, on se donne quelques conseils, on suggère de remplacer tel mot ou telle phrase. On peut aussi se permettre de piocher une phrase, un refrain d’un texte pour une autre chanson, bref on bricole ensemble. Le texte est ensuite travaillé par la musique, éprouvé par une mélodie, et des accords. C’est Erwan qui compose au piano, il teste des choses et on valide ensemble la musique qui pourra donner corps au texte, « relever » son sens comme une pointe de sel peut relever un plat. On chante une première version tous les trois ensemble pour rire et on s’y remet ensuite. Après, c’est un travail d’arrangement qui arrive avec Giulia et son violoncelle mélodique ou rythmique. Enfin, on travaille la répartition des voix et les arrangements harmoniques. Voilà à peu près notre manière de faire. Une chanson peut s’écrire en un jour, parfois son élaboration prend plusieurs semaines, on revient au texte, on change quelques notes. On abandonne autant de chansons qu’on en valide. On fait confiance à une forme d’évidence pour l’instant.
Comment décririez-vous votre musique ?
On ne choisit pas ses influences, on est traversé.e.s par ce qu’on écoute, mais nous aimons nous dire que nous habitons une vaste région entre le bal musette et la pop
C’est n’est pas évident de décrire sa propre musique. On dit souvent “on fait de la chanson” mais chanson ce n’est pas un genre musical à proprement parler. Et puis, comme on ne s’est pas fixé un genre a priori et qu’on compose « à l’instinct », on a plutôt tendance à croire ce que disent les gens qui nous écoutent. Nos auditeur.ice.s nous disent très souvent « Il y a quelque chose de William Sheller ». D’autres disent « ça me fait penser à Supertramp, ah bon tu trouves moi je dirai plutôt Beatles ». Ou « Ça fait Delerm un peu, mais j’aime beaucoup Delerm hein ! » ou encore « il y a une couleur pop anglaise fin 90 début 2000 ». Bref tout nous va. On essaye de ne pas trop y penser, de toute façon, on ne choisit pas ses influences, on est traversé.e.s par ce qu’on écoute. Mais nous aimons nous dire que nous habitons une vaste région entre le bal musette et la pop.
Vous avez des textes très écrits, avec des jeux de mots, des images, est-ce que l’écriture littéraire est une dimension importante de votre travail ?
Oui au cœur même. Pour le dire simplement, nous ne ferions pas de musique ensemble si nous n’écrivions pas nos propres textes. C’est sans doute quelque chose qui a à voir avec notre origine « théâtreuse », on communique par les mots et par la musique, les deux ensemble, jamais l’un sans l’autre. Le texte chanté permet de raconter une histoire, comme au théâtre, mais le récit de cette histoire doit être bref. Nos chansons ont une dimension narrative importante et nous voulons que cette histoire soit racontée à la fois simplement et avec densité. Chanter c’est notre petit pouvoir d’invocation. Ce n’est pas pour faire de la littérature, c’est pour donner vie à quelque chose, rendre compte de la réalité. On essaye de rester assez concret, on essaye de pas faire de la poésie mais de la chanson. Parce que le texte n’existe pas tout seul, c’est la musique, la mélodie, qui va donner la couleur au texte, qui va le décaler, le connoter, ne pas le respecter et c’est ça qui est intéressant dans la chanson. Un texte mélancolique n’appelle pas une musique mélancolique, c’est important pour nous de chercher les sensations, les émotions avec les instruments, de créer un dialogue.
On s’amuse parfois à déformer le texte avec des rythmes très pop vintage ou au contraire faire des trucs larmoyants pour voir ce que ça ferait, et ça fait parfois émerger un sens nouveau, qu’on garde ou pas, peu importe, mais qui nous a permis de chercher avec légèreté. Après pour ce qui est du sujet d’une chanson, on n’invente rien. Les sujets de la chanson sont toujours à peu près les mêmes, l’amour, la mort, le temps qui passe … Ce n’est pas le sujet qui importe, c’est la façon dont l’écriture peut matérialiser telle ou telle chose en faisant naître des personnages, des mondes, des possibles.
Dans vos chansons, il y a un certain sens de la mélancolie, comme quelque chose qui disparaît, mais aussi un certain sens de l’humour. Pourquoi cet alliage ?
L’humour, c’est un ingrédient parfait pour faire naître la mélancolie. L’humour amène de la familiarité, et la familiarité crée un pont entre la personne qui chante et la personne qui l’écoute. Le sourire c’est la porte d’entrée vers la mélancolie, on dédramatise et on se laisse prendre.
Allez-vous enregistrer d’autres chansons ? Quels sont vos projets pour la suite ?
Nous en sommes au début. On a écrit suffisamment de chansons pour faire de beaux concerts, on en a désormais une petite trentaine, mais le Covid est venu nous stopper dans notre élan. Alors on a décidé d’enregistrer des morceaux, d’abord trois titres live un dimanche après-midi l’été dernier (l’été nous réussit), puis plus récemment dix morceaux en studio. C’était une très belle expérience, c’est venu comme ça et on s’est lancé. Nous avons eu la chance d’être bien accompagnés par Antonin, notre fidèle ingénieur du son.
Ensuite on a réalisé le clip de la chanson Générique pour annoncer la sortie de l’album qui s’appellera tout simplement Grand Bleu Canap’. Il y aura 13 titres dessus, nos “premiers morceaux” disons et on est très content.e.s de l’objet CD, ça nous tenait à coeur d’avoir les chansons sur un support physique dans cette grande époque du digital. Bien sûr il sera aussi disponible sur toutes les plateformes de musique en ligne. La sortie est prévue pour la dernière semaine de juin, ce qui vous permettra d’emporter les chansons avec vous sur la route des vacances !
On a hâte de pouvoir reprendre la route et de se produire en concert, parce que la chanson prend tout son sens quand elle est incarnée et adressée
Sortir un album c’est bien, ça nous permet d’avoir une trace du travail mais ça ne remplace pas le live. On a essayé de s’adapter à la période en faisant des sessions d’enregistrement ou d’écriture mais on a hâte de pouvoir reprendre la route et de se produire en concert, parce que la chanson prend tout son sens quand elle est incarnée et adressée. On a envie d’un public, on en a besoin aussi, pour éprouver les chansons devant des gens bien vivants, pour faire des rencontres, discuter autour d’une bière, bref le monde d’après, celui d’avant aussi finalement, un peu des deux pour sortir de maintenant, vous connaissez la chanson.
Entretien réalisé par Marie Gué