Fabienne Swiatly, grâce à son ouvrage On n’est pas des bourgeois, s’inscrit dans la lutte de visibilisation des invisibles : elle tente en effet de redonner une voix à celles et ceux que la société préfère ignorer. Dans cet assemblage de fragments de vie, elle s’approche au plus près de la précarité et des vies abîmées, sans misérabilisme, avec une exigence littéraire et une profondeur qui imposent un regard neuf sur ce que la pauvreté raconte de notre monde.

On n’est pas des bourgeois, Fabienne Swiatly

De ces fragments littéraires émergent les vies des oubliés, des laissés-pour-compte. Par la voix poétique, les vies des plus faibles, marquées par la précarité et le silence imposé, sont (re)visibilisées,. La citation qui ouvre la réflexion, « Aujourd’hui je peux pas écrire, j’ai trop de problèmes dans ma tête », donne le ton d’un texte qui est avant tout un texte humain. Ici, l’écriture devient un exutoire inatteignable pour celles et ceux dont les pensées sont saturées par l’urgence quotidienne : les écrire est une tentative de dépassement des règles sociales et des obstacles qui paralysent.

Ici, l’écriture devient un exutoire inatteignable pour celles et ceux dont les pensées sont saturées par l’urgence quotidienne

Les vies sont restitutées dans leur singularité. « Ses yeux ne quittent pas l’écran de l’ordinateur où elle dessine un logo pour une Scop régionale… Depuis quelques années, elle constate qu’elle est passée de modeste à précaire : J’ai descendu une marche et c’est peut-être la dernière ». L’écriture rend visible cette lente érosion, ce basculement imperceptible vers une pauvreté toujours plus grande. Les fragments deviennent alors des instantanés d’une détresse diffuse, jamais spectaculaire, mais écrasante par sa banalité.

Le quotidien comme territoire d’injustice

Dans l’ouvrage, la pauvreté est décrite comme une condition profondément enracinée dans un monde structuré par l’exclusion et les discriminations. De fait, lorsqu’un homme, installé sous un pont avec un fauteuil, tente de recréer un semblant de « chez-soi », la voix poétique capte l’absurdité tragique d’une telle situation. « Un vieux canapé, une table basse et un fauteuil profond ont été agencés comme dans n’importe quel salon ». La précarité s’installe ici dans une tentative dérisoire d’ordonner le chaos, et ce besoin d’humanité persiste malgré tout.

La précarité s’installe ici dans une tentative dérisoire d’ordonner le chaos, et ce besoin d’humanité persiste malgré tout.

Par ailleurs, dans ce contexte, la recherche de la dignité reste un combat quotidien. Lorsque l’un des personnages achète de quoi se nourrir avec un tas de pièces usées, il se heurte à la lenteur d’un système qui humilie : « Fond de poche pour acheter du riz, du fromage râpé, une canette de bière et deux boîtes de pâtée pour chats, premier prix ». Ces fragments éclairent la violence sociale des petits gestes anodins, imposant au lecteur une lucidité presque insupportable.

Les représentations elles-mêmes sont interrogées dans ce livre : « Les journalistes parlent des pauvres comme si on était une grande famille, alors qu’on vit ensemble juste parce qu’on est obligés ». Cette phrase dénonce ainsi le regard condescendant et souvent erroné posé sur ceux qui vivent en marge, ces individus étant ainsi réduits à des clichés qui nient leur diversité et leur complexité.

Le collectif effrité : histoire et désintégration

Les récits recueillis par l’autrice exposent des injustices nourries par l’érosion progressive de la solidarité, remplacée aujourd’hui par un isolement croissant.. « Ici, c’était la banlieue rouge, celle qui ne baissait pas la tête ». Cette évocation d’un passé combatif, d’une classe ouvrière soudée, contraste avec la situ...