Ces traces de nous s’ouvre sur une écriture qui annonce son intention : «C’étaient des étincelles d’émotions dont je m’étais souvent servi pour écrire mes poèmes pendant la durée du carnet : un an environ. » L’espace du poème enregistre des fragments de vie –mouvements, images, voix–mais la signification demeure inachevée. Les mots fixent donc une présence tout en laissant place à la fugacité, performatrice de l’hors-texte, avant de céder à la pérennité poétique. Entre le visible et l’insaisissable, les poèmes restituent à l’existence sa substance, maintenant ouverte la possibilité du souvenir revécu par les mots.

Le recueil de poèmes est écrit en vers libres, construit autour de fragments du quotidien et de réminiscences personnelles. Il se déploie ainsi en courts textes qui captent des instants précis, des gestes, des objets ou des souvenirs, inscrivant l’intime dans une forme épurée ; l’essentiel y affleure. L’agencement des poèmes suit donc une logique de résonances car des motifs reviennent et s’y transforment : la mer, la marche, l’écriture, les absences. Certains poèmes prennent la forme de notations brèves, comme des notes de carnet, tandis que d’autres développent une réflexion plus ample sur le passage du temps et la mémoire.
L’écriture, sobrement poétique, s’attache à ces détails qui contiennent plus qu’ils ne disent, laissant échapper une émotion tenue à distance mais revenue au réel par la force du poème.
Effacer ou retenir, poétique du sacrifice
La mémoire habite ce recueil, mais elle ne se donne pas comme un récit construit. Elle revient sous forme d’éclats, d’objets aperçus, de phrases entendues. Le texte n’est pas un simple réceptacle du passé, mais un lieu d’incertitude où l’on tente de mesurer la persistance et la disparition.
Dans “Les carnets terminés”, la lecture des pages anciennes d’un carnet fait surgir un enchaînement de détails : « des mots notés au vol / des bouts de phrases / adresses numéros de téléphone / titres de films extraits de livres / noms de cafés de magasins de lieux. » L’inventaire restitue ici une accumulation qui ne s’organise qu’a posteriori : tout cela a été gardé sans raison précise, et pourtant, ces éléments ont compté. La mémoire sélective propre à l’humain ne choisit pas toujours ce qu’elle retient, elle fonctionne par adhérence, par résidus.
“L’agencement des poèmes suit une logique de résonances car des motifs reviennent et s’y transforment : la mer, la marche, l’écriture, les absences.”
Dans “En faire quelque chose”, un petit bouquet abandonné dans un verre devient un déclencheur d’interrogations. Loin d’être une simple réminiscence sentimentale, l’objet porte en lui une hésitation sur la signification même du fait de garder ou de jeter : « Je m’étais mis à penser / à ce qu’on ramasse à ce qu’on garde / pour ‘en faire quelque chose’ / – même si la plupart du temps / on n’en fait rien. »
Le poème met donc en évidence la tension entre l’inscrit et le disparu. Reste-t-il ce qui possède le plus de valeur, ou seulement ce qui a échappé à l’effacement ?
L’instant suspendu et son retour
Le texte excède le déjà-vécu. Il enregistre aussi le surgissement de ces moments où le présent vacille. Dans “Le futur immédiat”, la rencontre avec une silhouette lointaine sur une plage se transforme en interrogation sur la manière dont les temps se confondent : « Pourquoi je mélange le passé le présent / le futur immédiat /ce regard d’une seconde dans un poème. »
Le texte cherche à exposer ce phénomène tel qu’il est ressenti. Le passé ne s’efface pas derrière nous, il affleure, il s’impose sans prévenir, à travers un visage, une phr...