Tout le mois de juillet, Zone Critique vous fait vivre le festival d’Avignon In et Off. Dans le Journal d’Avignon, retrouvez les conseils et critiques de chacun.e de nos rédacteur.ices présent.e.s en terre papale. Ce journal de bord revient sur les trois dernières pièces du OFF que j’ai eu l’occasion de voir durant ce Festival d’Avignon 2023 : Antigone, ma soeur de Nelson-Rafaell Madel, La Question de Laurent Meininger et Liberté de Frédéric R. Fisbach.

L’anniversaire burlesque d’Antigone : un mythe revisité ?

© René Charles Benny

En s’inspirant librement de Sophocle, Nelson-Rafaell Madel propose une relecture d’Antigone sous les traits d’un concert pop burlesque et drôle. À l’occasion des 10 ans de la petite dernière – Antigone -, Œdipe, Jocaste, Ismène, Polynice et Eteocle se réunissent en organisant un spectacle déjanté avec la Pythie comme maître de cérémonie. Relativement didactique, la mise en scène de Nelson-Rafaell Madel permet de comprendre aisément les intrigues de la tragédie œdipienne en facilitant la transmission, notamment auprès d’un public adolescent (la pièce est déconseillée aux moins de 14 ans). Par le rire et le chant, DJ Jocaste et Œdipe nous embarquent dans leur histoire et l’on comprend assez rapidement les enjeux et les problématiques de la tragédie. Ce choix d’une adaptation burlesque est intéressant parce qu’il permet d’alléger la pesanteur du mythe et de jouer avec les codes classiques sans tomber dans une énième adaptation peu originale. Le public fait entièrement partie de la performance puisqu’il chante, tape du pied en suivant les directives de la folle Pythie.

Cependant, on peut s’interroger sur le choix d’une mise en scène en deux temps. Alors que la première partie est légère et drôle, le choix du burlesque s’efface peu à peu pour laisser place à une lecture très classique du mythe d’Antigone (le dénouement tragique d’Œdipe qui conduit à la mort des deux frères et à la pendaison d’Antigone). On regrette légèrement ce choix qui casse la dynamique de départ et qui, de fait, n’apparaît plus vraiment comme une lecture « revisitée » du mythe.

Antigone, ma sœur de Nelson-Rafaell Madel au 11. Avignon avecKarine Pédurand, Pierre Tanguy, Néry Catineau, Paul Nguyen et Nelson-Rafaell Madel du 07 au 26 juillet (relâche les 13 et 20 juillet)

Durée : 1h20

Festival d’Avignon (OFF)

Dénoncer l’horreur : La brillante adaptation d’Henri Alleg

© Jean-Louis Fernandez

Laurent Meininger s’attaque, avec La Question, à un sujet difficile porté par les mots d’Henri Alleg : la torture et, plus particulièrement, l’utilisation de ces méthodes inhumaines par l’armée française durant la guerre d’Algérie. Henri Alleg, militant communiste, fut arrêté le 12 juin 1957 et torturé pendant plusieurs jours par la milice de l’armée française. Durant de nombreuses séances, il a subi différentes formes de torture comme les électrodes, la torture par l’eau, les brûlures avec des torches et des cigarettes… La Question fut écrite durant son incarcération et censurée puis diffusée clandestinement. Ce texte nécessaire n’est pas simple à mettre en scène. Laurent Meininger réussit la prouesse de porter les mots d’Alleg au plateau à travers un seul en scène brillamment interprété par Stanislas Nordey.

Stanislas Nordey – par sa justesse de ton et sa capacité à incarner ses rôles sans jamais surjouer – livre une performance en gradation qui cerne l’horreur et la dénonce tout en respectant la dimension subjective du discours d’Alleg

Le talent de l’interprète n’est plus à démontrer. Stanislas Nordey – par sa justesse de ton et sa capacité à incarner ses rôles sans jamais surjouer – livre une performance en gradation qui cerne l’horreur et la dénonce tout en respectant la dimension subjective du discours d’Alleg. Il n’y a aucun pathos dans cette mise en scène. Laurent Meininger plonge le public dans une réalité factuelle qui n’est, malheureusement, pas encore tout à fait derrière nous. La torture perpétrée par les États est, en effet, encore en usage dans de nombreux pays comme en témoigne le Rapport ACAT 2021.

Tout est réuni dans cette mise en scène : le texte puissant d’Alleg, la performance impeccable de Nordey et la sublime mise en scène de Laurent Meininger. C’est grandiose

Concernant la scénographie, l’usage des fils suspendus permet de créer un effet intéressant qui brouille la vision. Elle ne se substitue pas au discours d’Alleg qui est, ici, l’élément essentiel, mais la complète à merveille. Tout est réuni dans cette mise en scène : le texte puissant d’Alleg, la performance impeccable de Nordey et la sublime mise en scène de Laurent Meininger. C’est grandiose.

La Question (texte d’Henri Alleg) de Laurent Meininger au Théâtre des Halles avec Stanislas Nordey du 07 au 26 juillet 2023 (relâche les 13 et 20 juillet)

Durée : 1h

Festival d’Avignon (OFF)

Retour au lycée : Un hommage aux professeurs

© Artem Maltsev

Au 11 • Avignon, Frédéric R.Fisbach nous invite à retourner au lycée avec Liberté (écrit par Yann Verburgh à partir des improvisations des deux interprètes : Sophie Claret et Nicolas Dupont), une pièce extrêmement juste sur la question du décrochage scolaire et, plus largement, sur le monde enseignant.

Nicolas est un jeune lycéen sur une mauvaise pente. En plein décrochage, il ne fréquente la salle de classe que pour distraire ses camarades. Durant un cours d’Histoire, portant sur la question de la liberté d’expression (après l’assassinat de Samuel Paty), Nicolas ne tient pas en place et se fait exclure par sa professeure après des remarques très déplacées. Une exclusion qui sera marquée par la violence puisqu’il poussera son enseignante lorsque celle-ci mentionnera sa mère. La colère du garçon, le choc de la professeure sont magistralement interprétés par les comédiens. Ils arrivent à saisir la complexité du sujet en rendant une performance très juste sur la réalité du quotidien des enseignants.

Un spectacle nécessaire pour des élèves qui imaginent parfois que leurs enseignants n’ont pas de vie en dehors de l’école…

Très vite, les problématiques évoluent : Nicolas s’enferme en prétextant avoir reçu une claque au visage par sa professeure et Sophie souffre – en toute logique – de cette situation. Au départ, elle ne souhaite pas évoquer la question de la violence afin d’éviter de ruiner la vie de Nicolas (d’autant plus lorsqu’elle apprend que la maman du jeune homme est décédée deux ans auparavant), mais elle se retrouve dans une situation délicate quand elle apprendra l’accusation à son encontre. Finalement, le spectacle se termine sur une note positive qui fait du bien et qui montre que tout n’est peut-être pas encore terminé… Le gros point positif de ce spectacle est de montrer la vie intime de chaque personnage : l’élève, le parent, la professeure, le proviseur. Tout le monde a ses problèmes, ses difficultés… Un spectacle nécessaire pour des élèves qui imaginent parfois que leurs enseignants n’ont pas de vie en dehors de l’école…

Il n’est pas toujours nécessaire de faire une mise en scène complexe pour faire un grand spectacle. Frédéric R. Fisbach nous le prouve.

Frédéric R. Fisbach propose une mise en scène dans une salle de classe. Un lieu particulier qui aurait pu être difficile à habiter tant il porte en lui un certain nombre de connotations. Pour autant, tout est très bien orchestré et l’on comprend très facilement quand les comédiens changent d’endroit, de rôles. Il n’est pas toujours nécessaire de faire une mise en scène complexe pour faire un grand spectacle. Frédéric R. Fisbach nous le prouve.

Liberté (écrit par Yann Verburgh) de Frédéric R. Fisbach au 11 • Avignon avec Sophie Claret et Nicolas Dupont du 09 au 26 juillet 2023 (relâche les 13 et 20 juillet)

Durée : 1h10

Festival d’Avignon (OFF)

Crédit photo : © Jean-Louis Fernandez