Tout le mois de juillet, Zone Critique vous fait vivre le festival d’Avignon In et Off. Dans le Journal d’Avignon, retrouvez les conseils et critiques de chacun.e de nos rédacteur.ices présent.e.s en terre papale. Dans ce journal, je m’arrête sur deux pièces du OFF particulièrement marquantes qui interrogent les traumatismes : le viol et l’exil.

La reconstruction post-traumatique de Blanche Baillard

© Giovanni Cittadini Cesi

Valéry Lévy questionne – avec une grande subtilité – les mécanismes complexes du stress post-traumatique et montre comment la caméra ne suffit pas à apaiser le mal qui ronge cette femme

Avec J’avais ma petite robe à fleurs, Valerie Lévy et Nadia Jandeau (à la mise en scène) invitent à interroger la reconstruction d’une femme, Blanche Baillard, après le traumatisme d’un viol par deux jeunes hommes jugés et incarcérés depuis. À travers le témoignage audiovisuel, Blanche aspire à oublier, à se reconstruire après l’épisode traumatique du viol. Blanche cherche, par le récit de son expérience à la télévision, une issue qui apparaît comme le dernier recours face à la douleur tant les autres remèdes s’avèrent inefficaces. Seulement, Nadia Jandeau questionne – avec une grande subtilité – les mécanismes complexes du stress post-traumatique et montre comment la caméra ne suffit pas à apaiser le mal qui ronge cette femme.

Alice de Lencquesaing incarne avec justesse cette femme brisée, mais pleine d’espoir. Elle arrive à toucher le spectateur en développant un personnage riche et touchant qui émeut par son histoire, par la manière dont elle affronte ses démons avec courage.

Quant à la caméra, elle se justifie largement par l’idée du témoignage en direct qui apporte un autre point de vue à ce récit difficile. Une caméra perverse qui oblige à dire et à redire encore alors qu’elle souhaite désespérément tirer un trait sur le traumatisme, une caméra qui oblige à voir ce qu’elle a été et ce qu’elle est devenue depuis cette tragique soirée… Toutefois, on peut s’interroger sur la pertinence des images tournées en amont – à l’extérieur – qui ne sont pas forcément nécessaires. Ce détail n’empêche pas à J’avais ma petite à fleurs de briller par son ton et par le réalisme de la situation.

  • Valéry Lévy, J’avais ma petite robe à fleurs, mis en scène par Nadia Jandeau avec Alice de Lencquesaing et Valentin Morel au Théâtre de l’Oulle du 07 au 29 juillet 2023 (relâche 10, 17 et 24 juillet)
  • Durée : 1h10
  • Festival d’Avignon (OFF)

Trouver sa place : Le récit poignant de Mina Kavani

© India Lange

Mina Kavani, par sa voix et sa posture, cloue le spectateur sur son siège et l’emporte, le temps de la représentation, dans ses rêves et dans ses cauchemars

On retiendra longtemps la puissance vitale du texte de Mina Kavani : I’m deranged. À travers un seul en scène à vif, l’autrice et comédienne iranienne nous plonge dans son exil difficile entre l’Iran et la France. Une performance radicale qui interroge la question du départ, de l’impossibilité de trouver sa place chez soi et ailleurs. Mina Kavani, par sa voix et sa posture, cloue le spectateur sur son siège et l’emporte, le temps de la représentation, dans ses rêves et dans ses cauchemars.

L’exil n’est pas synonyme de départ. En effet, Mina Kavani montre – avec virtuosité – comment elle a pu se sentir étrangère dans son propre pays. Le régime de la République Islamique d’Iran imposait déjà une forme d’exil qu’elle a vécu durant son enfance et qui obligeait sa famille à vivre dans une sorte de « Brooklyn underground ». La sensation d’être étrangère chez soi a conduit Mina Kavani à rêver d’ailleurs, à vouloir désespérément rejoindre Paris afin de vivre libre, d’être l’artiste qu’elle voulait être. Seulement, depuis qu’elle a réalisé son rêve en rejoignant la France, elle rêve de Téhéran, de sa famille et de tout ce qu’elle a laissé derrière elle en partant. Par son ton juste et la sincérité de ses propos, Mina Kavani développe le portrait d’une femme qui cherche toujours sa place, d’une artiste tiraillée entre son désir de vivre libre et son besoin de retrouver ses racines. C’est fort, puissant et nécessaire.

Cette pièce fut programmée seulement deux soirs dans le cadre du Festival d’Avignon (OFF) à la Manufacture, mais nous aurons le plaisir de revoir I’m deranged au Théatre Athénée à Paris (du 12 au 22 octobre 2023) et dans le cadre du Festival Nouvelles Images Persanes à Vitré (le 15 novembre 2023).

  • I’m deranged de Mina Kavani à la Manufacture les 11 et 12 juillet 2023
  • Durée : 1h
  • Festival d’Avignon (OFF)

Crédit photo : © India Lange