Tout le mois de juillet, Zone Critique vous fait vivre le festival d’Avignon In et Off. Dans le Journal d’Avignon, retrouvez les conseils et critiques de chacun.e de nos rédacteur.ices présent.e.s en terre papale. Dans cet article, je reviens sur deux beaux spectacles du IN qui jouent sur les espaces en s’appropriant le dedans et le dehors : Le Songe de Gwenaël Morin et The Confessions de Alexander Zeldin

Le théâtre follement archaïque de Gwenaël Morin : Le désir en fusion

© Christophe Raynaud de Lage

La scénographie est rudimentaire. Dans le jardin de la rue Mons, seuls les arbres et deux ballons lumineux servent à créer le décor de cette adaptation libre du Songe d’une nuit d’été de William Shakespeare. Une table de jardin en plastique, un parasol, un synthétiseur et le tour est joué : Gwenaël Morin nous plonge dans les rêveries de Shakespeare. Monter le dramaturge britanniqueest « utopique » comme le metteur en scène le mentionne lui-même et cela l’est d’autant plus lorsqu’il s’agit de confier à quatre interprètes les nombreux rôles de la pièce ; une vingtaine de personnages.

Ce songe avignonnais est un plaisir simple. Le temps file à toute vitesse tant les comédiens prennent à bras le corps les mots de l’auteur.

Sans entrer dans le détail de l’intrigue, il faut souligner le pari fou de Gwenaël Morin : renouer avec un théâtre archaïque, primitif et dionysiaque ; avec un théâtre qui invente sa forme à partir d’une œuvre culte. Le pari est réussi. Le public rit, s’amuse et retrouve le plaisir du théâtre et notamment de la comédie qui est, nous le savons, si difficile à mettre en scène. Ce songe avignonnais est un plaisir simple. Le temps file à toute vitesse tant les comédiens prennent à bras le corps les mots de l’auteur.

Le Songe est un pont qui ouvre des portes, qui rassemble les spectateurs dans un jardin féérique le temps d’une soirée.

La question du désir est ici centrale. Elle interroge – avec brio – la manière dont les relations humaines se construisent et se déconstruisent. Des intrigues qui se passent dans un univers féerique, fantastique qui joue sur la frontière entre réel et irréel. À l’image des plantes magiques que les acteurs pulvérisent sur leurs compères, Gwenaël Morin nous envoûte le temps d’une soirée et ça fait du bien ! Le sous-titre de la pièce Le Songe (Démonter les remparts pour finir le pont) peut sembler ironique, mais il ne l’est pas tant que cela. Le pont d’Avignon, inachevé, semble avoir plus d’intérêt que les remparts qui enferment. Le Songe est un pont qui ouvre des portes, qui rassemble les spectateurs dans un jardin féérique le temps d’une soirée.

  • Le Songe (Démonter les remparts pour finir le pont) d’après William Shakespeare de Gwenaël Morin avec Virginie Colemyn, Julian Eggerickx, Jules Guittier et Barbara Jung au Jardin de la rue Mons du 08 au 24 juillet 2023
  • Durée : 1h45
  • Festival d’Avignon (IN)

Portrait d’un individu ordinaire : un théâtre de l’intime

© Christophe Raynaud de Lage

Alexander Zeldin présente, dans le cadre de cette 77ème édition du Festival d’Avignon, The Confessions, une pièce intime qui dessine le portrait d’une vie, celle d’Alice, sa propre mère. Ce personnage n’est pas le fruit d’une création littéraire. Le metteur en scène souhaitait – par le biais du théâtre – raconter la vie mouvementée de sa mère et en faire « la célébration simple d’une vie ordinaire ». C’est un pari réussi pour Alexander Zeldin puisqu’il parvient à saisir l’essence de l’histoire individuelle d’Alice en seulement 2 heures et 15 minutes de spectacle.

À travers sa volonté de retranscrire la réalité du destin de sa mère, Alexander Zeldin parvient à créer un spectacle touchant dans lequel tout un chacun peut se retrouver

Le destin d’Alice bascule lorsqu’elle décide de quitter son île, l’Australie, afin de vivre à Londres dans les 80 avec le statut particulier de « femme divorcée ». Son mariage, en effet, tourne rapidement au fiasco et lorsque son mari demandera le divorce, elle partira. Ce départ permet de mettre en exergue les nombreuses difficultés que pouvaient rencontrer les femmes dans leur émancipation par le passé. Seulement, le désir de liberté chevillé au corps sera plus fort que tout et il passera notamment par un retour sur les bancs de l’université. À travers sa volonté de retranscrire la réalité du destin de sa mère, Alexander Zeldin parvient à créer un spectacle touchant dans lequel tout un chacun peut se retrouver.

un bon metteur en scène – avec de bons comédiens – peut créer un chef d’œuvre à partir d’un simple récit de vie. C’est fort

En ce qui concerne la scénographie, Alexander Zeldin crée de sublimes tableaux, des scènes intérieures qui se composent et se décomposent. Les acteurs sont incroyables dans leurs rôles ce qui permet d’aboutir au point suivant : un bon metteur en scène – avec de bons comédiens – peut créer un chef d’œuvre à partir d’un simple récit de vie. C’est fort.

  • The Confessions de Alexander Zeldin avec Joe Bannister, Amelda Brown, Jerry Killick, Lilit Lesser, Brian Lipson, Eryn Jean Norvill, Pamela Rabe, Gabrielle Scawthorn, Yasser Zadeh à la FabricA du 17 au 23 juillet 2023
  • Durée : 2h30 avec entracte
  • Festival d’Avignon (IN)

Crédit photo : © Christophe Raynaud de Lage