Le Festival d’Avignon OFF réserve parfois des surprises qu’il est bon de connaître. Il faudra que tu m’aimes le jour où j’aimerai pour la première fois sans toi,au Théâtre de l’Entrepôt, en est une et elle en vaut le détour ! Lauréat de l’aide nationale à la création de textes dramatiques ARTCENA, le texte d’Alexandra Cismondi nous plonge dans un monde grotesque (et finalement pas si futuriste que cela) qui questionne avec brio les affres de l’adolescence et les dérives de notre société.

L’adolescence en question

Les Tardi Muller se réunissent à l’occasion de l’anniversaire de Lo, la cadette de la famille, mais personne ne semble décidé à souffler sur la bougie qui trône au centre de la table. Une scène qui se joue, se rejoue, se tord et se distord en ouvrant un univers complexe qui interroge le monde de demain, un univers dont on comprend progressivement les enjeux. Les obsessions d’Alexandra Cismondi se dévoilent au fur et à mesure à la manière d’une gifle lente, mais qui laisse une marque rouge sur le visage. Le sujet principal de la pièce, pour n’en citer qu’un, concerne la question de l’adolescence. Qui sont les adolescents d’aujourd’hui et – surtout – qui seront les adolescents de demain ?

Alexandra Cismondi réalise une savante analogie entre l’adolescence et l’univers futuriste qu’elle crée : un monde rempli d’hormones en ébullition, de sensations nouvelles, d’interrogations marquées par une perte des repères et une transition entre ce qui se joue et ce qui se jouera, demain.

En explorant et en étendant les caractéristiques du monde contemporain, Alexandra Cismondi développe un portrait angoissant et grotesque d’une société en transition, un monde en pleine « crise d’ado » qui ne sait pas vraiment vers quoi il se dirige. On peut aisément souligner la sensibilité de l’autrice qui, à travers une recherche assidue auprès d’adolescents au CFA du Beausset et au Lycée du Golfe de Saint Tropez, ouvre avec talent les problématiques des enfants qui entrent doucement dans le monde fou et terrifiant des adultes, des adolescents qui s’interrogent sur la sexualité, sur l’amour, sur la famille, sur l’engagement politique ; bref des adolescents pas si futuristes que cela… Alexandra Cismondi réalise une savante analogie entre l’adolescence et l’univers futuriste qu’elle crée : un monde rempli d’hormones en ébullition, de sensations nouvelles, d’interrogations marquées par une perte des repères et une transition entre ce qui se joue et ce qui se jouera, demain.

Tragi-comédie pour un massacre

L’autrice et metteure en scène fut témoin indirect des attentats du 13 novembre 2015. Une nuit d’une violence inouïe où 130 personnes perdirent la vie dans des conditions innommables. Elle écrit à propos de cette nuit : « Je n’étais pas au Bataclan, mais je me trouvais à quelques centaines de mètres de là. J’ai passé la nuit dans un marché couvert, enfermée avec une amie et des clients du bars, à attendre de pouvoir sortir. Bizarrement, on n’a jamais eu peur, c’était assez étrange. Et le lendemain, ça a commencé à faire mal… Depuis, je me rends bien compte que c’était une situation pas banale du tout. » (La Strada). Ces fusillades hantent la mémoire de son œuvre dont on retrouve les traces d’une autre forme de massacre : les fusillades en milieu scolaire. Après la tuerie de Parkland (14 février 2018) aux États-Unis, Alexandra Cismondi a suivi, sur Instagram, le compte d’Emma Gonzalez, une rescapée de la tuerie et fer de lance d’un mouvement anti-arme et anti-Trump. C’est cet élément décisif qui a déclenché l’idée de créer une pièce sur l’adolescence.

© Guillaume Castelot

Le grand mérite de ce spectacle est d’alterner – avec subtilité – entre le rire et les larmes sans tomber dans une forme de pathos qui aurait alourdi inutilement le propos. Ici, nul besoin de voir les balles traverser la poitrine d’adolescents pour ressentir l’horreur d’un événement aussi tragique. On rit et on pleure devant Il faudra que tu m’aimes le jour où j’aimerai pour la première fois sans toi tant certaines situations sont absurdes et terribles à la fois.

Un niveau d’incarnation à couper le souffle

On se laisse embarquer dans cette histoire, on les écoute parler en oubliant parfois que nous sommes assis sur les bancs d’un théâtre tant le niveau de jeu est élevé

Alexandra Cismondi, Christophe Paou, Anne Elodie Sorlin et Lou Chauvain incarnent – avec un talent extraordinaire – cette famille touchante et drôle. Sans jamais forcer le trait, ils font corps avec leurs personnages et on ressent, sans aucune difficulté, toute la passion qui les traverse. On se laisse embarquer dans cette histoire, on les écoute parler en oubliant parfois que nous sommes assis sur les bancs d’un théâtre tant le niveau de jeu est élevé. C’est assez rare pour être souligné…

Le spectateur est, d’ailleurs, parfaitement intégré à la création puisqu’il participe activement à la représentation (à l’image des adolescents complices qui font des allers-retours entre le public et le plateau). Il faudra que tu m’aimes le jour où j’aimerai pour la première fois sans toi est une pièce à voir et à revoir

  • Il faudra que tu m’aimes le jour où j’aimerai pour la première fois sans toi d’Alexandra Cismondi avec Lou Chauvain, Christophe Paou, Anne Elodie Sorlin et Alexandra Cismondi au Théâtre de l’Entrepôt du 11 au 19 juillet 2023 (relâche le 17 juillet)
  • Durée : 1h35
  • Festival d’Avignon (OFF

Crédit photo : © Guillaume Castelo