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Le Théâtre de Romette fondé par Johanny Bert présente Hen, le cabaret d’une marionnette altersexuelle. Après sa création au festival d’Avignon, Hen s’installe au Mouffetard à Paris pour y dévoiler sa pornographie subversive et son érotisme bienveillant. Un show drôle, attachant et réjouissant, contre les normes de genre et de sexualité.

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« Les actes lesbophobes ont augmenté de 42% l’année dernière », « dans 72 pays l’homosexualité est pénalisée, dans 11 elle est passible de peine de mort », « en France, elle a été dépénalisée en 1982 ». Confortablement assis·e sur le fauteuil rouge d’un castelet de néons, Hen rappelle ces faits en réponse à une passante « qui a osé dire tout haut ce que certains pensent tout bas ». À travers les enceintes on entend ladite inconnue témoigner. Dans un reportage de 2012 sur la Manif pour tous, elle explique au micro du Petit Journal que l’homosexualité est contre-nature et qu’elle est guérissable. Hen lui rend hommage.

 Hen se prononce « heun ». Hen n’est ni il, ni elle. Hen c’est un pronom entré dans le dictionnaire suédois en 2015 qui ne désigne ni le genre masculin ni le genre féminin, qu’on pourrait traduire par « iel ». Hen est autant épicène qu’inclusif·ve. Hen c’est aussi le nom d’un spectacle queer monté par une compagnie auvergnate et coproduit par Le Bateau Feu, à Dunkerque, et La2Deuche, à Lempdes. Hen c’est surtout une marionnette à prises directes, qui a 14 corps, tous créés par Éduardo Felix et Pétronille Salomé. Hen c’est donc une diva virile, un·e sirène, une femme aux mille mamelons, une dragqueen ou un dragking, manipulé·e·s à vue par Anthony Diaz et Johanny Bert. Mais Hen n’a que faire de toutes ces catégories car Hen est indéfini·e.

Pirate du genre

 Iel est un·e pirate du genre, un·e trouble-fête de l’hétéro patriarcat. Engagé·e dans l’esthétique gay des shows de drag, la créature milite de numéros en numéros contre les normes de binarité, contre les canons de beauté, pour l’égalité des droits. Dans une atmosphère emplie de strass, d’amour et de paillettes, iel réinvestit en quelque sorte l’univers politique des cabarets de la République de Weimar pour y insuffler une critique protestataire envers un XXIème siècle ennuyeux de conformisme, à mi-chemin entre le numéro musical et la revue d’actualité.

 Iel a plus d’un tour dans son sac et plus d’une corde à son arc pour déjouer le genre et inventer des sexualités. Grâce à d’excellent·e·s parolier·ère·s, iel chante des titres de films pornographiques à la manière des Chansons libertines de Colette Renard. Extravagant·e, iel décomplexe le public en faisant l’amour à un projecteur, avant de rappeler les bienfaits du berlingot dans un tango du clitoris. Devant la beauté, s’offusquant de trop d’injonctions, iel invite tendrement Kim Kardashian à déguster ses règles jusqu’à la lie. Dans un monde où, faute de pouvoir accéder à la PMA l’on enfante des papillons, iel visibilise les amours saphiques. Enfin, avec l’élégance de la danseuse Bambi, iel trouble le genre grâce à de multiples accessoires. Punk à fleur, iel instaure un corps utopique, qui nous représente tous, et qui clame sa reconnaissance. Car iel veut être aimé·e « pour la soie de [son] dos et non pour les soies qui [le·la] vêtent », et iel le dit avec la chanson « Éternelle », de la grandiose Brigitte Fontaine, parue en 1968. Généreux·se, iel se lance à corps perdu dans sa représentation et investit l’entièreté du Mouffetard, du fond de la salle enfumée avant le spectacle, qui sent la moiteur des boîtes de nuit, aux confins des toilettes, dans lesquelles iel tague ses slogans poétiques : « Cœur pourri », « Mon œil en ébullition », « Fais-moi un vessie-lingus », « Sous les paillettes, la liberté ».

De la chanson d’amour au tube punk en passant par une interprétation lyrique d’Annie Cordy, la musique se réinvente au rythme du corps du personnage.

Pour faire résonner ses revendications, iel nous embarque dans un scintillant concert à la cadence effrénée, à la créativité folle. Conçues sur mesure pour le spectacle, les compositions de Pierre Notte, Perrine Griselin, Amandine Maissiat, Laurent Madio et Guillaume Bongiraud évoquent ce que le journaliste et historien Martin Pénet nomme les « chansons interlopes ». Éléments de la subculture homosexuelle de 1879 (date de la première occurrence du sujet) aux années 70, ces chansons aux paroles grivoises, filles du caf’-cons’ et du music-hall, se jouent des genres et des clichés en développant des stéréotypes affiliés aux orientations sexuelles, telle la garçonne, ou la folle[1]. De cette culture musicale LGBT+, Hen reprend l’accompagnement sonore réalisé en petit effectif, pour des arrangements hauts en couleurs. À cour, Ana Carla Maza fait vibrer son violoncelle et son ukulélé, tandis qu’à jardin, Cyrille Forger fait tinter son xylophone, ses percussions et son synthé. Tout le monde y chante son flamboiement et surtout Hen, interprété·e par Johanny Bert caché derrière le voile du manipulateur, dont la voix évoque celle de Dominique A. De la chanson d’amour au tube punk en passant par une interprétation lyrique d’Annie Cordy, la musique se réinvente au rythme du corps du personnage.

Hen au-delà du réel

À chaque scène Hen fait peau neuve. Toujours iel brille d’une nouvelle robe, enlève une peau, s’ajoute ou non un sexe.

Car à chaque scène Hen fait peau neuve. Toujours iel brille d’une nouvelle robe, enlève une peau, s’ajoute ou non un sexe. La forme du personnage principal se renouvelle sans cesse, grâce au merveilleux travail de ses concepteur·rice·s, retranscrit dans l’exposition photographique « Naissance d’un personnage », présentée à l’entrée du théâtre. Surhumaine, la marionnette se désarticule, se détache en morceaux pour inventer de nouveaux corps. De bois, de mousse et de latex, iel se décompose et se recompose aussi étrangement que La Poupée (1935) de Hans Bellmer, sculpture et créature chimérique à plusieurs jambes. Le drôle de cabaret prend parfois des airs de freak show.

Les marionnettistes travaillent sur des formes spectaculaires contraignantes, qu’ils rénovent ainsi avec brio. De la marionnette, ils reprennent le castelet, la table de manipulation et l’habit noir des manipulateurs. Du cabaret, ils réutilisent l’alternance de courts numéros chantés. Les « gardes du corps » de Hen (ceux qui l’animent) se jouent des codes de leur art, en s’essayant à tous les possibles. Ils vont jusqu’à inventer la marionnette sans marionnette, au personnage invisible. Hen n’en est que plus fabuleux·se. Bien qu’engonssé·e dans des schémas codifiés, jamais iel ne perd l’attention du public, car iel cultive toujours la surprise. En effet, en bons dramaturges, Anthony Diaz et Johanny Bert réinventent souvent le spectacle. Après Avignon, l’équipe a reconstruit la prestation au Mouffetard, a enlevé 2 chansons, en a ajouté 4 nouvellement composées, et a réorganisé les ordres de passage. Partie d’un recueil de 35 musiques, la troupe a créé une conduite parfaitement rythmée, qui comporte maintenant une douzaine de titres et un rappel. Pas une minute ne passe sans que Hen nous fasse sourire ou nous émeuve.

Grâce à ce show à l’humour provocant, Hen s’ancre dans la tradition grandguignolesque de la marionnette subversive. À bien des égards, Hen est hilarant·e car son statut d’objet lui permet toutes les railleries. À coups de talons aiguilles, Hen ose tout et ne se prive de rien. Malheureusement, Hen est quelquefois pudique. En partant, iel se range derrière son rideau car iel ne trouve pas sa place parmi nous. À plusieurs reprises, les artistes rappellent qu’Hen est fictif·ve, oubliant la vérité criante d’un personnage politique. Parce que Hen concrétise le besoin de foutre en l’air nos définitions restrictives du genre et de l’orientation sexuelle, puisque les humains aussi ont besoin d’indéfini. Hen pense que le monde ne veut pas d’iel, mais le public, enthousiaste, semble lui dire l’inverse. Ses applaudissements chaleureux lui murmurent le rêve de le·la voir intégré·e dans une société aussi bienveillante qu’iel.

URL du teaser vidéo : https://youtu.be/R9NiruasZzk

Site officiel de Hen : https://www.hen-show.com/hen-fr

Dates de représentations :

Théâtre des arts de la marionnette à Paris, Le Mouffetard : du 22 janvier au 8 février

Théâtre de Lempdes : 15 février

Durée : 1h10

[1] Martin Pénet, « L’expression homosexuelle dans les chansons françaises de l’entre-deux-guerres : entre dérision et ambiguïté », Belin, « Revue d’histoire moderne et contemporaine », 2006/4, n°53-4, pp. 106-127.

Baptiste Dancoisne