S’il est un écrivain plus que jamais d’actualité, c’est bien Jean Malaquais. Le romancier américain Norman Mailer exprima parfaitement cette idée en mars 1999. Rendant hommage à Malaquais qui venait de mourir, et évoquant la réédition de son roman Planète sans visa, Mailer déclara : « Ce livre avait cinquante ans d’avance : il est temps de le lire ! ». On peut étendre ce jugement à toute l’œuvre de Malaquais. Cet auteur, né en 1908 et décédé en 1998, traversa en effetlevingti ème siècle en pointant les événements majeurs que notre début de deuxième millénaire tristement redécouvre.
Dans son premier roman, Les Javanais, prix Renaudot 1939, Malaquais évoque déjà la condition des immigrés, venus des quatre coins de l’Europe et même du monde, contraints de gagner leur pain en s’employant dans une mine vétuste du sud de la France, à LaLonde-les-Maures. Lui-même y avait travaillé, alors qu’il venait de quitter sa Pologne natale, curieux du monde, curieux de le « découvrir avant qu’il ne disparaisse » pour reprendre son expression. Dans ce roman sur le monde du travail, Malaquais fait revivre la communauté « javanaise », c’est-à-dire une communauté ouvrière vivante, bourdonnante de parlers divers, d’une langue qu’il baptise « java », faite « de toutes les langues et qui n’est d’aucune ». Il peint la réalité du travail, jusqu’à la mort de deux mineurs au cours d’un éboulement, et montre que, rivés à la même exploitation salariale, les ouvriers peuvent aussi s’entendre et se défendre collectivement, et qu’ils ne sont gênés ni par leur origine, leur culture ou leur langue différentes. On pense aux vingt-neuf mineurs néo-zélandais, australiens, britanniques et sud-africain, décédés à la suite d’une explosion de méthane dans la mine de Pike River en Nouvelle-Zélande en 2010 ; et également à la lutte des mineurs de Marikana en Afrique du Sud qui, en 2012, s’étaient lancés dans une grève dite « sauvage » car spontanée, et avaient dû affronter la police: trente-quatre d’entre eux avaient alors trouvé la mort. La vie ouvrière, en particulier celle des mineurs de fond, une des composantes les plus dures de cette classe sociale, charrie toujours son lot de morts, causées par des conditions de travail lamentables ou par une répression patronale féroce.Malheureusement, trop peu de romanciers ont eu à cœur de décrire et de dénoncer cet état de fait.
Germinal, à maints égards, n’est pas non plus un roman du passé. Mais à la différence de Zola, Malaquais met en scène des ouvriers dont il a partagé les joies et les peines, et chez lesquels il a vunaître une conscience telle qu’ils n’ont pas besoin d’un agitateur pour se mettre en mouvement, tant la combativité leur est chevillée au corps. Dans Les Javanais, Malaquais décrit une lutte en partie victorieuse. C’est que Malaquais conçut le roman en 1936, à une période où l’agitation ouvrière était vivace dans notre pays. Il le fit sur un mode enthousiaste, ayant été lui-même très tôt éveillé à la politique et aux combats sociaux. Dès son arrivée en France, il partagea avec un petit groupe de militants des conceptions révolutionnaires et internationalistes, s’opposant au capitalisme et au stalinisme.
Pour autant, Les Javanais n’a rien de l’œuvre d’un doctrinaire. La vitalité ouvrière, bariolée et harmonieuse, dont Malaquais avait été le témoin direct, il sut la transposer dans une écriture alerte, orale, joyeuse, mêlant les expressions populaires au parler soutenu, les langues les unes aux autres, le narrateur aux personnages. Dans un style libre, libertaire, pourrait-on dire, il fit ainsi dans son premier roman entendre le chant du monde.
Certes, les mineurs de ce Java, qu’il a ainsi élevé au rang de mythe, sont obligés de quitter La Londe-les-Maures et la mine qu’on va détruire. Mais, à l’image de Spartacus déclarant : « Je reviendrai et je serai des millions», le narrateur complice de ces parias des temps modernes leur rend hommage dans une ode aux accents lyriques et prémonitoires : « Les pendards sont partis qui galvaudaient vingt mille francs y pico par semaine entre Vaugelas et la Double Pesée. Ils sont partis, emportant leur million annuel ces caqueux erratiques en quête de fourrière, ils se sont décanillés cul par-dessus tête dans la vase cosmique, et au pied de la cheminée et sous le clapotis de la fontaine ils ont laissé leur évocation d