Sur la peinture est une suite de cours donnés par Gilles Deleuze, de mars à juin 1981, rassemblée dans un recueil publiée aux Éditions de Minuit. Entre philosophie, esthétique et histoire de l’art, Deleuze y trace des voies diverses pour questionner l’art pictural, son histoire, ses pratiques et ses théories. Grâce à un travail éditorial récent, il nous est désormais possible de suivre par la lecture cette pensée en mouvement.
Ce que fut l’expérience de « Vincennes » : une université expérimentale née de Mai 68. L’invention collective d’un autre mode d’enseignement où se rencontraient les publics et les professeurs, étudiants, travailleurs, chômeurs et universitaires, dans une effervescence intellectuelle créatrice.
« Vincennes » n’existe plus. Restent les cours de l’un de ses professeurs de philosophie : Gilles Deleuze. Jamais il ne rédigea ses leçons. Enseignant trois heures durant, muni seulement de quelques notes jetées sur des feuillets et des livres, il refusait l’autorité du professeur en chaire. Des enregistrements de ses cours et leurs retranscriptions ont été mis en ligne par des amis et anciens élèves. Et en mettant cette ressource à profit, les Éditions de Minuit en ont publié un premier pan sous ce titre : Sur la peinture.
David Lapoujade avait déjà édité chez Minuit les « Textes et entretiens » de Deleuze, L’île déserte et Deux régimes de fous (en 2002 et 2003). Avec Sur la peinture, ce spécialiste de Deleuze offre un accès renouvelé à ces cours grâce à un minutieux travail de mise en forme, de correction et d’annotation.
L’atelier du philosophe
Pour Deleuze, donner un cours était l’occasion d’élaborer, affiner, mettre à l’épreuve des concepts dont il tirait, par la suite, la matière de ses livres. Aussi Sur la peinture peut-il être lu en regard de Logique de la sensation : la même année 1985, Deleuze présentait ses réflexions sur la peinture à l’université et publiait, comme en diptyque, cet ouvrage sur Francis Bacon.
La pensée esthétique constitue une dimension absolument décisive de son œuvre.
En laboratoire de pensée ou plutôt, puisqu’il s’agit d’une pensée esthétique, en atelier, Sur la peinture nous fait assister à la réflexion en mouvement, dynamique et créatrice, de l’esquisse notionnelle à un paysage théorique presque achevé.
La pensée esthétique constituait une dimension absolument décisive de son œuvre. Il consacra cours, articles et livres non seulement à la peinture, mais aussi à la musique, à la littérature ou au cinéma (avec Image-mouvement en 1983 et Image-temps en 1985), sans cesser de suivre avec intérêt les avant-gardes contemporaines (Boulez et Godard, par exemple). Cet enseignement sur la peinture complète donc l’édifice de sa pensée esthétique, multiple et protéiforme, en l’enrichissant encore.
Couleur, diagramme et catastrophe
Peindre, affirmait Deleuze, c’est affronter la catastrophe ; c’est assister à la création du monde, au chaos originaire de la matière colorée en mouvement. Deleuze s’intéressait avant tout aux peintres dont la pratique repose sur un diagramme, un concept emprunté à Bacon. Le diagramme théorise un art qui, ayant aboli toutes les données figuratives ou narratives grâce au chaos-...