Recueil de textes disparus ou presque, inédits pour certains, Dans l’arène ennemie convoque une mémoire singulière de Monique Wittig. Car si l’autrice des Guérillères nous a laissé une œuvre aussi riche que cohérente, c’est parce qu’elle n’a cessé de développer, avec toute l’exigence que réclamait son féminisme de combat, une pensée de l’opposition, un contre-discours acharné que nourrissaient des réflexions particulières, prenant pour thème le cinéma, la littérature ou encore la langue. 

Entre les actes, entre les textes

Dans son étrange Entre les actes, Virginia Woolf présente au spectateur-lecteur des brisures de miroir, en sorte que celui-ci y aperçoive sa propre image en réfractions partielles, éparses. Tout aussi épars est ce recueil, Dans l’arène ennemie, publié par les Éditions de Minuit. Le matériau en est divers : entretiens, articles, communications dans des colloques universitaires, notes rétrospectives de Wittig sur ses propres publications. En marge de titres désormais incontournables, comme LesGuérillères ou La Pensée straight, Dans l’arène ennemie révèle une constellation de textes où s’élabore une pensée au fil du temps et des apports continus que fournissent l’actualité, la littérature, le cinéma, ces thèmes convergeant vers une définition de la tâche du féminisme. 

Si l’on y rencontre le désormais célèbre « Il faut un mouvement de libération des femmes », ce manifeste de 1970 se place au cœur d’un ensemble de textes consacrés à des figures féminines (Virginia Woolf, « précurseur du mouvement de libération des femmes », ou Nathalie Sarraute, inventrice d’une écriture capable de révéler les remous intérieurs des individus), des explorations de la langue (« Un moie est apparu… »), des retours sur ses publications (« Quelques remarques sur Le Corps lesbien »), ou encore des ébauches d’œuvres (« Programme du Voyage sans fin ») et des projets d’écriture (« Projet pour un livre sur l’homosexualité féminine »). Point culminant de ces textes divers, le problème de la langue surgit dans chacun d’entre eux, problème de la langue et de la violence dont celle-ci est habitée.

« Les mots qui tuent sont des mots d’oppression. Et ils ne tuent pas symboliquement. Ils tuent dans la réalité. Ils tuent directement. Nathalie Sarraute, dans son ouvrage Tropismes, montre comment l’usage du langage peut, dans certains cas, réellement tuer. »

L’arène de la langue

Parce que, même patriarcale, la langue n’en est pas moins plastique.

Comme l’explique Wittig dans son entretien consacré à Woolf, c’est en déliant, séparant, forçant parfois l’écart, que l’on fait apparaître les interstices où se font jour des idées nouvelles. Or, cette tâche est particulièrement difficile lorsqu’elle s’inscrit dans un emploi du langage. « Notre vocabulaire indo-européen est patriarcal », rappelle Wittig : c’est « un vocabulaire basé sur l’échange, sur la prise de possession des esclaves, des femmes ». Aussi la tâche de toute écrivaine est-elle schizophrénique : il faut écrire dans la langue, contre la langue. Dans le système de signes patriarcal, lequel fonde les institutions de nos régimes politiques également patriarcaux, il faut ouvrir des failles, déclencher des perturbations, faire émerger « la pensée de nos mères » et derrière cette pensée, la nébuleuse d’avant les mots, d’avant les symboles et l’institution d’un ordre politique. Faire émerger d’autres formes du...