Le Chœur des lions, recueil du traducteur et écrivain hongrois György Dragomán, explore dans ses nouvelles les facettes de cet art mystérieux qu’est la musique ; plus encore, il nous apprend à regarder le monde et à entendre sa musique à la manière des enfants.
Ce livre est tout d’abord – et ce n’est pas rien – l’occasion pour le lecteur français de se confronter à deux angles morts fréquents chez lui : la littérature hongroise et la nouvelle. Avec en prime une traduction de Joëlle Dufeuilly, à laquelle nous devons déjà celle, splendide, des romans du géant hongrois László Krasznahorkai.
Un recueil animé par l’enfance
Comme l’indique le quatrième de couverture et le laisse deviner le titre, Le Chœur des lions a pour leitmotiv la musique. C’est celle d’une chanteuse de renommée mondiale, ou celle de danseurs de rue madrilènes, celle de l’entraînement sans relâche comme celle de l’évasion nostalgique ; mais surtout celle qui naît des rêves d’enfants, et les nourrit. Car le vrai sujet de ce recueil n’est pas tant la musique que l’enfance ; et il est tout sauf innocent que l’auteur l’ait dédié à ses fils.
Le Chœur des lions a pour leitmotiv la musique
Certes, le mystère de la musique, et plus largement celui de l’art, est exploré ; en particulier, cette capacité qu’ils ont de faire ressentir ce que l’on n’a pas vécu, à l’auditoire mais aussi à l’interprète, comme le dit la chanteuse dans la nouvelle « Cry Me a River » : « J’ai commencé à chanter Cry Me a River, je n’avais jamais été vraiment amoureuse, personne ne m’avait jamais quittée, je n’avais jamais quitté personne, mais la déception était là, dans ma voix, douloureuse et désespérée, ma voix qui disait que tout était fini, que tout était vide, que tout était perdu, personne ne m’avait jamais brisé le cœur, je n’avais jamais brisé aucun cœur, et pourtant la douleur était là, dans ma voix, elle disait que je me résignais à cette douleur, et aussi que je pardonnais, et que je ne pardonnerais jamais, elle disait tout, ma voix. » Et, à l’issue de cette représentation, György Dragomán décrit la sensation de la chanteuse comblée – mettant ainsi le doigt sur ce que peut ressentir l’artiste qui a l’intuition d’être (enfin) parvenu à ce qu’il recherchait – comme un « soulagement pesant ».
Les phrases de l’auteur sont étendues, nerveuses, rythmées, tournant autour du réel en ondoyant comme un félin dans les broussailles, essaimant alentour avant de se resserrer telle la meute encerclant sa proie. Mais cette description collée au monde est parsemée de touches saisissantes de réalisme magique ; ou, plutôt, l’univers de nombre des nouvelles est structuré par une capacité sous-jacente de la réalité à s’augmenter — à mi-chemin de l’Écume des jours et du conte de fées. C’est par cette texture donnée à la réalité que l’auteur parvient souvent à nous faire saisir cette façon si particulière qu’ont les enfants de voir le monde.
Ainsi le recueil s’ouvre et se ferme par deux nouvelles évoquant le violoniste à « l’archet de fer » qui cherche un apprenti à sa mesure et ...