Capillarités est un récit à la première personne construit autour d’un lieu unique : un salon de coiffure. La narratrice, qui y travaille, observe les clientes, écoute leurs récits, note les gestes des coiffeurs, commente les coupes. Le texte progresse sans intrigue linéaire, mais selon un principe d’accumulation et d’échos.

Chaque scène de soin ou demande capillaire devient alors l’occasion d’un développement sur la norme, la féminité, l’âge, la blancheur, le genre, les héritages familiaux ou coloniaux. Le livre est composé de séquences brèves, souvent marquées par des sauts typographiques, des listes, des citations, ou des blocs narratifs au style direct. L’écriture, dense et rigoureuse, reste constamment arrimée à la matérialité du cheveu. Carbonnel fait du capillaire un prisme d’analyse sociale : la coupe, la couleur, la texture, le shampoing ne sont effectivement jamais anecdotiques. Tout, dans cette matière vivante ou morte, engage une politique du corps, un rapport au regard, une manière d’habiter sa classe, son âge, son sexe. Capillarités démonte, un à un, les ressorts d’une fiction sociale attachée aux cheveux.
“Le blanc est perçu comme un aveu, la racine comme une défaite.”
La structure repose sur une alternance entre scènes observées au Salon et séquences réflexives où se déploie une pensée critique. Les gestes ordinaires –couper, laver, coiffer – produisent des effets sociaux puissants. Une cliente demande « juste un rafraîchissement » ; une autre précise vouloir « juste la frange » ; une troisième insiste : « pas trop – pas être – trop – pas trop – belle –pas belle – naturel – sexy ». La série d’adverbes et d’antonymes révèle le poids des injonctions contradictoires. Le cheveu devient une surface de régulation.
L’emprise des modèles féminins
La narratrice refuse l’idée d’un cheveu neutre ; même les demandes les plus modestes sont prises dans un langage social codé. Quand une cliente explique : « Je suis super contente que mes cheveux aient repoussé, mais je ne les reconnais plus », elle nomme une discordance entre apparence et identité. Le soin capillaire engage une manière d’exister dans le regard des autres. Une femme qui perd ses cheveux n’accède plus à la même visibilité. L’auteur rappelle un sondage mené par Norgil, où il est précisé que « la chute des cheveux apparaît considérablement plus préoccupante quand elle est anticipée que quand elle est effective ». La perte biologique n’est pas celle à l’origine de l’angoisse : l’angoisse est celle de la peur de la perte du rôle social, attaché à la chevelure.
La figure de Britney Spears structure plusieurs pages. La narratrice revient effectivement sur l’épisode de 2007, où la chanteuse rase sa tête : « Je ne veux plus que qui que ce soit touche mes cheveux. Plus jamais. Qui que ce soit. Je ne peux plus de toutes ces personnes qui touchent mes cheveux ». La réception médiatique du geste révèle une logique d’exclusion immédiate. Spears devient la cible d’un rejet unanime. La narratrice écrit : « Que dire d’une personne qui décide de devenir ‘moche’ ? Qui creuse sciemment un écart entre ce qu’elle est et ce qu’elle devrait continuer d’incarner ? »
Ce refus est rapproché d’une définition plus générale de la laideur, citée chez Claudine Sagaert : « La laideur dans sa définition générale renvoie à une privation. Une injustice. Une défiguration. Elle est le signe d’un écart par rapport à l’être t...