Présenté à la Mostra de Venise et injustement reparti bredouille, le nouveau long-métrage de Bertrand Bonello mélange les temporalités pour faire ressurgir les maux les plus sévères de notre société. Entre narration découpée, mise en scène tournoyante et performances délicates, La Bête est peut-être déjà le plus beau film de l’année qui commence à peine.

Bertrand Bonello nous avait laissé en 2022 sur une des scènes les plus déchirantes de son œuvre. À la fin de Coma, film tortueux sur le confinement et les craintes de l’humanité face aux crises futures, Bonello écrivait une lettre bouleversante à sa fille, anticipant les possibles catastrophes à venir mais tout en portant un espoir. Cette séquence, à la fois simple mais lourde de sens, caractérisait à merveille son cinéma qui s’est toujours penché, sans jugement, sur les difficultés éprouvées par notre société : le terrorisme dans Nocturama, la place des femmes esclaves dans L’Apollonide ou le poids de l’héritage dans Zombi Child. Avec Coma, cette étude des maux et des mœurs prenait un autre tournant puisqu’elle s’emparait du présent pour se questionner sur le futur. Avec La Bête, longue fresque de 2h30, cet intérêt pour le temps se déploie sur trois périodes bien distinctes mais liées, et s’interroge sur la possibilité tragique d’un futur déshumanisé. En 2044, alors que l’humanité semble avoir péniblement survécu à de nombreuses crises (politiques, informatiques, naturelles ?) qui demeurent hors champ, la société a recours à des intelligences artificielles. Ces dernières sont mandatées pour prendre les décisions les plus importantes de notre civilisation, et ce sans que l’affect humain puisse avoir un quelconque impact négatif. Il est proposé aux derniers habitants d’un Paris désert, où se baladent avec sérénité les animaux (on pense aux bruits des oiseaux qui recouvraient cette ville devenue mutique lors de la pandémie de Covid), d’explorer leurs vies antérieures afin de se défaire de leurs émotions, et donc de pouvoir accéder aux postes décisionnaires de la société. Gabrielle (Léa Seydo...